Les incontournables des mois de janvier et février

Est-ce la vie ou du théâtre ?

La vie de Charlotte Salomon

Bien qu'il repose sur des drames personnels et historiques, le spectacle Charlotte est ouvert à tous les publics et à la lumière, celle de l'art qui peut éclairer nuit et brouillard. L'histoire, c'est celle de Charlotte Salomon (1917-1943), artiste peintre allemande broyée, de Berlin à Nice puis à Auschwitz, par la terrible machine nazie. L'intime, ce sont les secrets de famille, les plus douloureux que l'on cache. Mais il reste l'art, une inimaginable série de plus de 1300 gouaches, réalisées de 1940 à 1942, travaillées comme un journal de son monde intérieur : Est-ce la vie ou du théâtre ? Après un opéra méconnu de Marc-André Dalbavie, le Charlotte joué à l'auditorium de La Seine Musicale emprunte des voies populaires : texte de David Foenkinos d'après son roman (prix Renaudot 2014), mise en scène Jérémie Lippmann qui reçut un Molière en 2015 pour la Vénus à la fourrure, musique de Gail Ann Dorsey, la bassiste égérie de David Bowie, et narration d'Audrey Tautou, de retour au théâtre près de quinze ans après une Maison de poupée d'Ibsen mise en scène par Michel Fau. 

Boulogne-Billancourt, Auditorium Patrick-Devedjian de La Seine Musicale, La vie de Charlotte Salomon, du 19 au 25 janvier. 

On ne s'en lasse pas !

The Elephant in the Room

Retour de la bande du Cirque Le Roux avec leur premier spectacle, The Elephant in the Room - autrement dit, dans la langue des films noirs sur Sunset Boulevard« le cadavre dans le placard » - créé en 2015, et dont on dit qu'il a été jouré, rien que sur ses quatre premières années, plus de 400 fois autour du monde. Écriture acrobatique, faux flegme à la française, on ne se lasse pas de ce théâtre qui fait son cirque dans le fumoir de Miss Betty, « importunée par son mari affligé, un valet bouffon et un courtisan concupiscent »...

Puteaux, Conservatoire Lully, The Elephant in the Room, 19 janvier. Rueil, TAM, 2 février. 

Transmission et mémoire

Le Malade imaginaire ou Le Silence de Molière

Toutes les mises en scène d'Arthur Nauzyciel actuel directeur du Théâtre national de Bretagne, tournent autour de la mémoire et de la hantise. Peut-être, comme il l'écrivait en 1999 lors de son premier spectacle, déjà Le Malade imaginaire ou le Silence de Molière - qu'il reprend ici dans une nouvelle mise en scène - parce qu'il a appris à compter avec les chiffres tatoués sur l'avant-bras de son grand-père, survivant d'Auschwitz. Le spectacle, qu'il a recréé en 2022 et qui vient en tournée aux Amandiers, entrelace la dernière pièce de Molière et l'essai de Giovanni Macchia sur la silhouette oubliée d'Esprit-Madeleine Poquelin, fille de Jean-Baptiste et d'Armande Béjart : « Le Silence, c'est l'histoire d'une fille qui a dit non au théâtre, en rêvant que sa famille lui pardonne d'être né Poquelin et de mourir Molière... » Et comme si cela ne suffisait pas dans cette histoire de « transmission, de troupe, d'héritage et de fantômes », un quart de siècle presque après, Laurent Poitrenaux reprend le double rôle d'Argan et de Molière, Catherine Vuillez celui d'Esprit-Madeleine, Arthur Nauzyciel, son propre père... Et pour aller au bout du vertige, ce sont les jeunes comédiens de l'École du TNB qui complètent la distribution !.

Nanterre Amandiers, Le Malade imaginaire ou Le Silence de Molière, du 26 janvier au 9 février.

Bestiaire dansé

Des chimères dans la tête

Aux manettes de cette création de la saison 2023-2024, ils sont trois. La plasticienne Françoise Petrovitch, dont l'univers figures et de nature fluides a été exposé, il y a déjà quelques années, à la Maison des Arts de Malakoff et dans les jardins de la Manufacture de Sèvres. Ses animaux étranges, toujours féeriques, parfois un peu monstrueux, translucides et puissants comme l'encre du pinceau et l'imagination des enfants, sont animés par le créateur audiovisuel Hervé Plumet. Le troisième est le chorégraphe Sylvain Groud, directeur du Ballet du Nord, avec qui l'on a souvent dansé sur notre territoire, notamment à Suresnes Cités Danse. Mais on devrait plutôt écrire qu'ils sont quatre à l'origine de ces Chimères dans la tête, en désignant comme partenaire le dispositif technique, complexe, imposant et cependant invisible derrière le grand écran suspendu sur scène. Ou plutôt, qu'ils sont sept, car il faut ajouter les trois interprètes-danseurs, qui y naviguent comme en apesanteur. On ne voit souvent d'eux qu'un bras, deux jambes, une main, un buste qui sont autant d'antennes, d'ailes, de critères ou de tentacules pour les étranges bêtes dessinées. Les costumes, également signés François Petrovitch, sont une invitation au mouvement des centaures, poulpes et griffons. Tout cela danse avec l'illusion - laquelle est le terrain de jeu privilégié des enfants -, cela pourrait ressembler à du cinéma d'animation en direct, comme si les personnages fantasmagoriques pouvaient enfin sortir de la feuille de dessin pour incarner les rêves « pour de vrai » sur la scène. 

Malakoff, Théâtre 71, Des chimères dans la tête, du 1er au 3 février (dès 8 ans).

Faire sonner les pierres

TM+, Lithophonic

Créé cet automne à la Maison de la Musique de Nanterre, le port d'attache de TM+, le concert augmenté Lithophonic vient sur la Petite Seine de La Seine Musicale après une résidene au SeineLab. C'est un voyage de l'écoute et du regard à travers quarante mille ans de civilisation des hommes, l'exploration d'un réseau acoustique, instrumental et électronique qui maillerait les outils de la préhistoire et les technologies de notre monde contemporain. Sur scène, six musiciens, dont deux percussionnistes jouant également du lithophone, « pierre sonnante » relevant du domaine un peu magique des premiers instruments de musique, conçue içi, comme l'installation vidéo projetée dans l'espace, par la plasticienne Justine Émard - au demeurant nommée directrice artistique du Pavillon France de l'exposition universelle 2025 à Osaka. La composition, qui imbrique instruments acoustiques et sons électroniques, est l'œuvre de Lara Morciano, virtuose des matières sonores, du souffle impalpable et des trates géologiques. Il faut se laisser submerger dans « ce moment poétique, sensible où, nous suggère Laurent Cuniot, chef de l'ensemble TM+, l'imaginiaire est littéralement embarqué par les deux créatrices dans un contrepoint des sens ». Apparition, naufrage, étoile filante : comme s'inventerait un langage inouï sur une trajectoire immersive entre musique et image, énergie et suspension, rituel des origines et visions du futur. 

Boulogne-Billancourt, La Seine Musicale, TM+, Lithophonic, 19 janvier.

Paysages et industries

Le grain, l'encombrant, la lettre et le sable

C'est un gigantesque secret urbain, un lieu monumental qui s'étend à l'horizontale et ainsi échappe, entre l'A86 et la Seine, à l'ostentation du building. C'est une fourmilière de l'Île-de-France, là où s'accumulent et transitent « Le grain, l'encombrant, la lettre et le sable », c'est une exposition, portant le même titre, consacrée par le CAUE 92 au port de Gennevilliers, le plus grand port fluvial de France. « A-t-on idée des flux, des dynamiques et des marchandises que brasse cette plaque tournantes ?, interrroge le catalogue. Et que sait-on des professions qui s'y exercent, pourtant indispensables au fonctionnement de la métropole, aux boulangers parisien pour faire leur pain, aux chantiers du Grand Paris Express pour nous transporter, indispensables pour trier et recycler nos déchets ou livrer les millions de produits que nous commandons en ligne ? » Quelques photo d'archive, des textes, et, surtout, les photographies réalisées par Bertrand Stofleth et Géraldine Millo afin de documenter, respectivement, le lieu et ses « habitants », autrement dit l'espace des paysages et la vie des industries. Un livre (128 pages, Building Books, 29€) paraît « carte blanche littéraire », confiée à l'écrivaine Fanny Taillandier - déjà présente au sein de la collection Fléchette du musée Albert-Kahn avec Foudres.. 

Nanterre, La Galerie CAUE 92Le grain, l'encombrant, la lettre et le sable jusqu'au 16 mars, les mercredis et samedis de 13h à 19h. 

Un poisson nommé Nemo

20000 lieues sous les mers

Quand en 2015 le spectacle 20000 lieues sous les mers, d'après Jules Verne, a été créé à la Comédie-Française, on n'imaginait pas les acteurs de la vénérable maison ainsi s'acoquiner avec des marionnettes pour s'incarner dans un univers de fantaisie plus vrai que nature. Par la magie du spectacle vivant et des truquages, Christian Hecq, sociétaire de ladite Comédie-Française, et Valérie Lesort, diablesse des subterfuges, réinventent cette saison Nemo, le Nautilus et leur voyage fantastique au bout de notre enfance. 

Neuilly, Théâtre des Sablons,20000 lieues sous les mers, 30 et 31 janvier. 

Intelligence de l'artifice

Matière et mémoire

Deuxième artiste en résidence de création au musée départemental Albert-Kahn, Fabien Ducrot travaille les Archives de la Panète avec les outils du XXIsiècle. Pour son projet des Archives de la Planète, Albert Kahn envoyait photographe et cinéastes, aux technique encore balbutiantes dans ce premier tiers de XXsiècle, fixer un état du monde avant sa disparition. Le temps a passé, il a effacé ce monde d'avant dont il ne demeure que des images. Pour l'exposition Matière et mémoire, jusqu'au 24 mars dan la salle des Plaques du musée à Boulogne, le plasticien Fabien Ducrot s'est servi des 72 000 autochromes numérisées pour « nourrir » des outils d'intelligence artificielle générative, avant de les guider dans un double processus : soit la création d'une image nouvelle aux teintes de la nostalgie, soit une image de l'époque augmentée par l'intervention, parfois visionaire, parfois trompeuse, de la machine. Au-delà de la beauté spectaculaire du résultat, le plus passionnant est peut-être le parallèle qui peut se faire entre le début du XXe siècle et le début du nôtre quant à la métamorphose du rôle des artistes. Lorsque la photographie couleur a su documenter le monde, les peintres se sont, plus ou moins consciemment, libérés de cette tâche, de nouvelles visions artistiques ont alors pu apparaître, inimaginables auparavant. Malgré la peur qu'ils engendrent souvent irrationnelle, les outils d'intelligence artificelle, en s'attachant à des techniques de fabrication toujours dirigées par l'homme, ne sont-ils aussi parfois pas en train de libérer l'artiste des tâches et de le conduire ailleurs ? 

Musée Albert-Kahn, Boulogne-Billancourt, Matière et mémoire jusqu'au 24 mars.

Décor napoléonien

Un panoramique napoléonien

Idéalement inaugurée au moment où le Napoléon de Ridley Scott déboulait comme une charge de cavalerie sur les écrans de cinéma, l'exposition Un panoramique napoléonien se prolonge jusqu'au 26 février au château de Bois-Préau à Rueil-Malmaison, avec une tout autre rigueur historique ! Le panoramique en question n'est pas un mouvement de caméra, mais un décor de papier peint, une spectaculaire « tenture en camaïeu » de seize mètres de long éditée vers 1829. Elle présente les campagnes des Français en Italie entre 1796 et 1799, on y voit - au loin - les armées du jeune Bonaporte tandis que la population italienne fraternise paisiblement... Jamais montré au public français depuis plus d'un siècle, restauré, le pranoramique témoigne quasi cinématographiquement de la légende napoléonienne. Il est accompagné dans le parcours d'exposition par des tableaux et des objets d'art relatifs aux mêmes années - dont un rare portrait en bas-relief du général Bonaparte daté de 1800, attribué à Bonzanigo et récemment acquis par le musée national. 

Château de Bois-Préau, Rueil-Malmaison, Un panoramique napoléonienjusqu'au 26 février.

Joindre le textile au durable

Tisser l'avenir, habiller le corps

Le Jardin des métiers d'art et du design (JAD), à Sèvres, s'intéresse au monde en mutation du design de mode et de la conception textile. Tisser l'avenir, habiller le corps, du 17 janvier au 21 avril, déroule le fil amorcé par Sempervirens, l'exposition hivernale de l'an passé. En mettant en avant les savoir-faire d'exception du textile et de la mode durable, le commissaire d'exposition Pascal Gautrand - qui fut le premier résident de la section « design et mode » à la Villa Médicis - nous parle d'objets désirables dans un écostème du vêtement qui a beaucoup appris des contraintes environnementales. Fondateur de la plateforme Made in Town, il articule l'exxposition en un prologue autour des matières, des acteurs et des métiers du domaines, avant d'en détailler les perspectives durables een trois chapitres : la sobriété par la simplicité et la durabilité, le cercle vertueux du réemploi, la réhabilitation des matières naturelles et des pratiques ancestrales. 

Le Jardin des métiers d'art et du design (JAD), Sèvres, Tisser l'avenir, habiller le corps, du 17 janvier au 21 avril.