Alors que les premières dalles se voient soulevées par les machines de chantier, les platanes plantés il y a cinquante ans par Dan Kiley, parés de tuyaux et planches protectrices, restent debout, frissonnant sous le vent. Les professionnels du groupement de maîtrise d’œuvre conduit par l’architecte-paysagiste Michel Desvigne frémissent, eux, d’impatience, lui le premier : « C’est un moment à la fois émouvant de donner vie à cet espace gigantesque et d’inquiétude aussi car ce n’est pas rien d’intervenir sur l’axe historique de Le Nôtre », souligne le Grand prix d’urbanisme 2011, retenu par l’établissement public Paris La Défense pour mener à bien cette mue « respectueuse de l’histoire récente et ancienne. »
En 1972, rappelle-t-il, c’est un Américain qui a su faire une lecture moderne du classicisme à la française, livrant ce qui est l’un des trois jardins de l’axe historique avec les Champs-Élysées et les Tuileries – « méconnu » - caractérisé par la rigueur et la puissance de ses lignes. Cette perspective comme la trame de platanes et de tilleuls de Kiley seront conservées et des strates intermédiaires introduites : arbustes (cerisiers du Japon, cornouillers, pommiers), haies (osmanthes, ilex, myrtes, chèvrefeuilles), massifs fleuris (iris, lys, pervenches, euphorbes), pelouses … Outre les 535 existants, 314 nouveaux arbres seront plantés, du mobilier « ample et généreux » installé et six bassins jalonneront l’espace, source de fraicheur et de biodiversité. « Aujourd’hui 70 % des surfaces sont minérales, le projet vise à inverser cette proportion, explique Michel Desvigne. Ce n’est pas un changement radical, on maintient tout en place et on s’insère en dessous et au-dessus de l’existant. On crée de nouvelles strates au sol dans lesquelles on viendra sculpter de petites salles. »
Sol fertile et perméable
L’illusion de la continuité en vue d’ensemble – une nappe monumentale, un tapis vert entrouvert sur l’Arc de Triomphe et l’Arche - coexistera, sur un axe transversal entre les deux « rives », avec de multiples salles et ambiances pour les usagers du quartier d’affaires, qui, désormais, se veut aussi un quartier à vivre. « Cet environnement créera des espaces de convivialité. Le Parc va favoriser les échanges sur l’esplanade tout en l’ouvrant vers les quartiers de Courbevoie et de Puteaux. Par sa programmation, par son ambition, par son caractère novateur, cette initiative s’inscrit pleinement dans le nouveau cap stratégique que nous avons dessiné dès 2021 pour La Défense afin d’en faire le premier quartier d’affaires post-carbone au monde (l’objectif est de réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre e à horizon 2030, pour lutter contre le changement climatique, Nldr.), un quartier de vie agréable pour ses habitants, salariés et étudiants. »
L’existence d’un sol naturel et fertile, préalable à cette végétalisation, soulève un énorme défi dans un quartier sur dalle, elle-même toit de nombreuses infrastructures souterraines. « Au-dessus du tablier, on trouve l’A 14, le RER A et le métro 1, des voies de dessertes souterraines, des locaux techniques, c’est un millefeuille qui peut atteindre 5 niveaux. De plus la dalle a une capacité de portance limitée et chaque version du projet doit être compatible », égrène la chef de projet Zeineb Kilani. Ces différentes configurations déterminent les épaisseurs de terre végétale ou de remblai introduites entre le revêtement de surface et la dalle, de trente centimètres jusqu’à deux mètres, qui contribuent aussi à un meilleur écoulement naturel des eaux pluviales dans le sol.
Palette végétale
La palette végétale qui tient compte de ces contraintes et de la luminosité, a été étudiée avec un écologue et préparée par des expérimentations dans les espaces publics dès 2016. « On a une connaissance scientifique de la manière dont se comportent les végétaux. Ce n’est pas un projet ornemental mais la reconstitution d’un milieu vivant tel que l’on peut le retrouver dans la nature et c’est cette dimension naturaliste qui va l’emporter au fil du temps. » Un « exercice » de transformation que Michel Desvigne espère « prototypique » pour les parcs sur dalle en milieu dense.

Un chantier en trois temps jusqu'en 2028
Paris La Défense a opté pour un chantier en trois phases, ce qui permettra au public d’investir le Parc au fur et à mesure. La phase ouest, de Table Square au balcon de la place basse, lancée le 18 août se terminera début 2027. La phase est, de la place Moretti au bassin Takis, de janvier 2026 à décembre 2027. La partie centrale, de la place basse à la place Moretti, sera réalisée de septembre 2026 à mi-2028. Paris La Défense annonce une « communication fine » de chantier pour permettre la continuité des usages et des flux ; une charte faible nuisances a été passée avec les entreprises intervenantes et un dispositif est prévu pour permettre des remontées des riverains. Durant le chantier les arbres seront protégés tout comme les œuvres d’art, pour certaines remises en état ou déplacées. Une partie des matériaux déposés (morceaux de dalle en granit, garde-corps en inox) pourront être réutilisés ailleurs dans une logique circulaire.