Portrait de femme (2021) : rencontre avec la dessinatrice Chloé Wary

Pour Beethov sur Seine, la dessinatrice, amatrice de R’n’B et de rap, s’est glissée dans les coulisses de l’orchestre Insula orchestra, à La Seine Musicale à Boulogne-Billancourt.

Pour son premier jour à La Seine Musicale, Chloé Wary avait troqué ses habituelles sneakers colorées contre des bottines : « Je me sentais pas à ma place.  suis dit qu’on allait tout de suite remarquer que je n’étais pas de ce monde-là ». Mais celle qui l’accueille porte « des Puma toutes neuves et des chaussettes stylées », raconte-t-elle dans Beethov sur Seine. Ce « monde-là » se révèlera bien moins classique que prévu…

Culture populaire

Chloé Wary grandit dans l’Essonne entre le foot, avec un papa supporter du PSG, et le dessin. À douze ans, elle commence les cours de BD à la MJC. Ses premières planches « des histoires d’ados, de petites meufs et d’amoureux », s’inspirent de ses lectures de shojo(mangas pour filles, NDLR) : « Avec ces histoires de la vie de tous les jours, je m’identifiais aux personnages et je crois que je me projetais déjà en tant qu’auteur ». Un bagage mainstream et populaire », enrichi, pendant son cursus en illustration, par une cure intensive de « BD indé ». Deux premiers romans graphiques disent ses préoccupations. Dans Conduite interdite (Steinkis), projet de fin d’études, elle retrace la lutte des femmes en Arabie saoudite pour prendre le volant. De retour dans sa banlieue, pour Saison des Roses, elle se glisse dans les pas de Barbara, capitaine d’une équipe de foot, à rebours des clichés sur la banlieue. Une BD saluée par le prix du public « France Télévisions » au festival d’Angoulême 2020, pour laquelle elle a été jusqu’à rechausser les crampons.

Jouer du décalage

Alors que 2020 approche, pour les 250 ans de la naissance de Beethoven, Steinkis pense à elle. L’ensemble Insula orchestra, résident de La Seine Musicale, travaille à un opéra symphonique, reprenant des extraits de sa célèbre Pastorale et mettant en scène les grands bouleversements terrestres. Nom de code : Pastoral for the Planet. Le thème, qui rejoint ses préoccupations écologiques, la séduit mais elle cherche la bonne approche : « J’avais eu une ouverture sur la musique classique. Mon père jouait du piano et avait tenté de me mettre à la guitare. À côté de ça, le R’n’B ou le rap était aussi l’une de mes entrées dans cet univers, raconte-elle. Je me suis dit : quitte à ne pas y connaître grand-chose, autant en faire un des thèmes du livre » L’équipe d’Insula orchestra fait bon accueil à cette Candide en sneakers qui ne sait pas distinguer trois notes. Alain, le chef régisseur, pour qui le classique a d’abord été une « langue étrangère », Blandine, la musicologue, Cathy la violoniste…lui racontent leur rapport à la musique et à Beethoven. « Pour mieux le comprendre et comprendre pourquoi sa musique [la] touche autant », elle lui consacre un recueil de notes et de citations. « Il m’accompagnait dans le train, quand je repensais à ma journée, il fallait que je le mette en scène. »

Plus romantique tu meurs

« Beethov », qu’elle tutoie à l’occasion, apparaît vite dans les ses planches avec sa chevelure folle et son air en colère. Pus romantique tu meurs ! Pour rendre son sentiment de la nature et les sonorités florissantes de sa Pastorale, elle s’enivre du printemps sous sa fenêtre et convoque l’imaginaire du Douanier Rousseau. Pendant les répétitions, elle s’essaie à capter sur le vif les musiciens et la « boss » Laurence Equilbey - inaccessible mais expressive, même de dos ! - et à rendre les courbes étourdissantes de l’Auditorium. « Mais le plus difficile, je crois, a été de retranscrire l’intensité du spectacle final, car on perd la dimension 3D, souligne-t-elle. J’ai essayé de jouer sur les cadrages et de déstructurer les plans pour les rendre dynamiques ».  Mis en scène par la compagnie La Fura dels Baus, la représentation de Pastoral for the Planet lui arrache frissons et larmes : « Ça a été un choc d’avoir tout en même temps, le son, l’image, la mise en scène, les danseurs ; c’était une émotion collective hyperpuissante. J’ai retrouvé des sensations que je n’avais eu qu’au cinéma ».Il est loin désormais le temps du collège et de ses conventions. « Je pense qu’avec cette musique, chacun à son propre parcours et moi, j’ai eu la chance d’être guidée. » Entre le classique et les sneakers, la jeune femme de vingt-six ans refuse de choisir. « Si quelque chose me plaît, je le note et je l’enregistre. Récemment je me suis découvert une passion pour la sarabande, j’ai aussi retrouvé le thème du Lac des Cygnes et visionné une heure de ballet. ». 

Pauline Vinatier pour Hds.mag n°75, mars-avril 2021