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Portrait de femme (2021) : Séverine Bouisset, directrice de la scène nationale des Gémeaux à Sceaux

Portrait de femme (2021) : Séverine Bouisset, directrice de la scène nationale des Gémeaux à Sceaux

L’attention portée aux habitants et les formes numériques sont au cœur du projet de la nouvelle directrice de la scène nationale des Gémeaux à Sceaux.


Chez Séverine Bouisset, la collégienne de Mer (Loir-et-Cher) qui découvre La Flûte enchantée de Mozart ne semble jamais très loin : « Si un professeur de musique ne nous avait pas emmenés au théâtre, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui », reconnaît l’ex-étudiante en lettres et en « management de la culture » qui fut longtemps dans notre département secrétaire générale du théâtre Jean-Arp de Clamart avant de passer quatre saisons au service des publics dans une des scènes nationales emblématiques de la région parisienne : La Ferme du Buisson, en Seine-et-Marne.

« Tout mon parcours professionnel a tourné autour de cette question cruciale : comment faire en sorte que les habitants d’un territoire trouvent leur chemin pour aller au théâtre? »

La continuité et le renouveau

Au cœur du projet qui l’a conduite à prendre la direction des Gémeaux, l’alliage de la continuité et du renouveau est subtilement pesé : « Après 35 ans d’une ligne portée par Françoise Letellier et avec 4500 abonnés, être dans une rupture frontale serait complètement absurde. La continuité passe par le maintien des trois disciplines socles : le théâtre, la danse et le jazz ; par la politique des longues séries, une dizaine de dates pour un spectacle, et par l’ouverture à l’international. L’idée étant de renouveler ensuite les formes disciplinaires et le réseau des artistes. » Il ne faut pas attendre longtemps alors pour que le thème du numérique au théâtre intervienne dans la conversation : « J’étais au démarrage du TMN Lab [Laboratoire théâtres et médiations numériques], c’est quelque chose qui m’anime depuis une bonne dizaine d’années. Je crois que le théâtre aujourd’hui est complètement protéiforme, transdisciplinaire, hybride. Et c’est à cet endroit-là qu’il est particulièrement vivifiant. » La saison 2021-2022 s’affiche déjà comme une extension du domaine numérique dans l’espace du spectacle vivant, avec La Mouette de Tchekhov, « performance filmique » mise en scène par Cyril Teste ; Acqua alta, un parcours dans l’imaginaire de l’eau sur la frontière poreuse avec les arts visuels, signé Adrien M et Claire B ; et le collectif Invivo en artiste associé.

Rencontrer l’autre

Le renouvellement des disciplines et de la programmation serait-il la formule magique pour séduire un plus large public que celui dont on sait qu’il forme l’essentiel des abonnés de n’importe quel théâtre, ici ou ailleurs ? Tous les responsables politiques et culturels en rêvent, et les artistes avec eux ! « Je suis convaincue que tous les publics peuvent venir voir toutes les représentations artistiques, à partir du moment où il s’y passe quelque chose, où il y a de la qualité, de l’émotion. Quand on monte une programmation, il faut faire confiance à ses propres émotions, avoir confiance dans le fait que tout le monde peut voir un très beau spectacle. » Alors, comment faire mieux ? « Ce n’est pas juste une question de programmation, pas juste une question de tarifs, c’est une question de rencontre. Et pour que cette rencontre ait lieu, il faut que nous, structures culturelles, allions vers les habitants. Cela passe par de petites formes dans des lieux non dédiés au spectacle, cela passe par des projets culturels et artistiques que l’on peut construire avec eux. Pour que petit à petit, peut-être même plusieurs années après, ils viennent d’eux-mêmes jusqu’ici. »

S’approprier le théâtre

« L’emplacement de la scène nationale de Sceaux est très intéressant. Excentré, mais à la frontière de quartiers qui sont très différents : Musiciens-Roosevelt et ses petits pavillons, les Blagis plus populaire. On est exactement au milieu et à quelques centaines de mètres de trois autres villes : Bagneux, Fontenay et Bourg-la-Reine. C’est autour de cela qu’il faut réfléchir avec les habitants. Qu’on ne vienne pas aux Gémeaux juste pour une représentation, mais redonner de la vie au théâtre au-delà des moments de spectacle. Enrichir son expérience de spectateur, c’est cela qui me tient à cœur. » Demeure la question de l’âge du public au théâtre qui, au-delà du parcours culturel et artistique scolaire, nécessite de cultiver - en biodynamie comme on dit dans les vignes - une familiarité avec les lieux. « L’appropriation commence quand les jeunes montent sur la scène… » Parmi les artistes associés avec qui Les Gémeaux vont « compagnonner » pendant les prochaines saisons, la batteuse jazz Anne Paceo et le chorégraphe Mickaël Le Mer réfléchissent ainsi à un projet qui puisse réunir des rappeurs et des danseurs préprofessionnels issus des quartiers environnants. « Parce que leurs copains seront dans la salle ce soir-là, je crois que c’est typiquement le genre de projet qui peut changer le rapport au lieu labellisé “sanctuaire théâtre”. Un attachement peut commencer à se créer. Le fin mot de l’histoire est là. »

Didier Lamare pour HDS.mag n°77 juillet-août 2021

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Les Gémeaux / Scène Nationale
49, avenue Georges Clémenceau
92330 Sceaux

www.lesgemeaux.com