Portrait de femme (2021) : la violoniste Geneviève Laurenceau

La violoniste donne également des master classes à l’Académie musicale Philippe Jaroussky et se produit régulièrement en concert à La Seine Musicale.

Au violon, Geneviève Laurenceau, c’est un son, généreux, intense, puissant, qui lui vient peut-être d’une École russe sur les frontières. Née en Alsace, elle fut élève à Freibourg en Allemagne avant de suivre à Lübeck l’enseignement du Russe Zakhar Bron pendant cinq ans puis de travailler avec le Français Jean-Jacques Kantorow. C’est un chant aussi, énergique et subtil, qui a porté vers la musique française celle qui fut à la fois Premier Prix au Concours international de Novossibirsk et Grand Prix de l’Académie Maurice-Ravel à Saint-Jean-de-Luz. Et c’est surtout un rire spontané dans lequel on devine la petite fille qui commençait le violon à trois ans.

Naissance d’une passion

Même si souvent employée à tort et à travers, l’expression « enfant prodige » semble ici au juste diapason. « Mes parents ont fait commencer le piano à la grande sœur et le violon à la petite en disant que, peut-être, elles joueront ensemble, pour s’amuser, plus tard. Ce qu’ils n’avaient pas du tout prévu, c’est que j’ai aimé tout de suite. Cela me paraît très mystérieux, maintenant, là où je suis : à quoi je pensais quand je disais je veux être violoniste? Je l’ai dit très tôt, même si je ne sais pas si je me le suis dit aussitôt à moi-même. Je me souviens que j’aimais la scène mais que je n’aimais pas travailler. Surtout le moment où il fallait ouvrir la boîte… Par contre, une fois que j’y étais, j’étais contente. » Et ce bonheur-là tient sur deux mots - liberté et partage - qui ont guidé la jeune musicienne sur le chemin d’une carrière qu’elle conduit selon son bon plaisir. « J’aimais bien l’idée de faire quelque chose de différent des copains de ma classe. J’ai toujours aimé être quelqu’un qui ne fait pas tout à fait comme les autres et finalement ça se ressent encore maintenant, dans mes choix de répertoire, dans mes choix de carrière. Le fait de bifurquer, d’être musicienne d’orchestre, “supersoliste” au Capitole de Toulouse, puis d’aller de nouveau vers la musique de chambre et le métier de soliste. J’ai la même impression dans mes choix de répertoire : je préfère aborder ce qui est moins entendu. »

Un violon sous le toit

C’est le moins qu’on puisse dire : dans les partitions et les collaborations de Geneviève Laurenceau, il y a aussi bien la musique de chambre de Lucien Durosoir qu’une chatoyante Symphonie des oiseaux où, en compagnie de la pianiste Shani Diluka, elle entremêle aux compositions classiques la virtuosité vocale d’imitateurs de ramage. Pendant le premier confinement, celui où les musiciens ont dû réinventer leur métier devant leur écran, elle a lancé un appel à de nombreux compositeurs pour de courtes pièces qu’elle a créées et diffusées avec son « violon sous le toit ». « Je me suis rendu compte que nous jouions tous beaucoup la même chose… À l’époque baroque, le public allait au concert pour découvrir des œuvres et pas pour entendre des choses anciennes : c’était de la musique contemporaine! On venait ressentir des émotions par la nouveauté. J’ai davantage envie de me réaliser dans le répertoire contemporain parce que je pense que c’est aussi notre mission de jouer la musique d’aujourd’hui. »

Devoir de transmission

Geneviève Laurenceau n’a pas le violon égoïste. Soliste, chambriste, elle enseigne et appartient depuis le début à la « bande des quatre » encadrant les Jeunes Talents de l’académie créée par Philippe Jaroussky. « La transmission est très importante, parce que l’un de nos rôles d’interprète, c’est l’honnêteté vis-à-vis du discours d’un compositeur, donc le partage de nos connaissances. Donner des cours, c’est parfois délicat pour moi qui suis plutôt instinctive. Mais quand ça marche, c’est phénoménal, du même ordre d’intensité qu’après un concert réussi. » Et quand le journaliste lui avoue un peu honteux qu’il ne ressent aucune affinité pour la musique de Camille Saint-Saëns - dont on fête cette année le centenaire de la mort et qui est au cœur du programme de son dernier disque et du concert qu’elle donne à La Seine Musicale -, le rire de Geneviève Laurenceau devient force de conviction : « Mais je n’ai pas toujours aimé Saint-Saëns… Cela venait du côté trop rabâché de ses œuvres célèbres, la Danse macabre, le Rondeau capriccioso, la Symphonie avec orgue, même si je l’aime beaucoup d’ailleurs. Et j’ai découvert d’autres pièces : La Muse et le poète, la Fantaisie pour violon et harpe. En rentrant par cette autre porte, j’ai mieux compris Saint-Saëns. Il y a toujours chez lui un moment de lyrisme à couper le souffle, une intensité qui se libère que je trouve vraiment bouleversante. »

Didier Lamare pour HdS.Mag n°79 - Novembre - Décembre 2021