Résidence de création de HIP HOP OPENING, le spectacle d’ouverture de la 30ème édition de Suresnes cités danse, production du Théâtre de Suresnes Jean Vilar et commande passée aux chorégraphes Saïdo Lehlouh et Bouside Ait Atmane, par ailleurs co-directeurs du Centre Chorégraphique de Rennes et de Bretagne. Au théâtre Jean Vilar à Suresnes le 25 novembre 2021CD92/Julia BRECHLER

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Les 30 ans de Suresnes Cités Danse

Les 30 ans de Suresnes Cités Danse

Un mouvement universel

Pionnier dans la diffusion de la danse hip-hop, le festival Suresnes Cités Danse célèbre les trente ans d’un continuel métissage des mouvements et des styles.

Si Suresnes Cités Danse existe toujours, c’est parce que nous avons tout le temps réinventé les choses. Nous ne sommes pas ici dans un musée mais dans un théâtre.

Olivier Meyer, Directeur de Suresnes Cités Danse

Quand en 1993 Olivier Meyer créait le festival Suresnes Cités Danse sur un coup de cœur, imaginait-il célébrer la trentième édition deux générations de danseurs plus tard ? Il a beau s’en défendre, peut-être bien… Marie-Agnès Gillot, étoile à l’Opéra de Paris conquise par le hip-hop, parle à son propos de cran, d’instinct, d’audace « mais aussi et surtout de cette grande capacité à laisser leur chance aux artistes. » Parmi les invités fidèles du festival, Mourad Merzouki - qui fut, après son comparse Kader Attou, parmi les premiers chorégraphes hip-hop à être nommés à la tête d’un Centre chorégraphique national - ne dit pas autre chose : « Il y a chez lui une volonté de surprendre, d’apporter de la nouveauté, de prendre des risques. À l’époque, peu de théâtres ouvraient leurs portes à des gamins qui ne sortaient pas du conservatoire, et pratiquaient une danse qui pour certains n’en était pas une. Il a réussi à se projeter dans notre travail, qui était pourtant embryonnaire. »

Le directeur du Théâtre de Suresnes Jean-Vilar se souvient-il de l’émotion qui l’a saisi quand il découvrait, en 1992, le danseur chorégraphe américain Doug Elkins métisser la danse contemporaine des théâtres avec le hip-hop surgi de la rue ? « Je m’en souviens très bien : la sincérité, la fragilité, l’humanité, voilà les mots. Il y avait quelque chose de juste, on n’était pas dans le “fabriqué”, c’était comme un cadeau : voilà qui nous sommes, voilà ce que nous avons envie de vous montrer et nous le faisons comme des enfants heureux d’être là. Oui, c’était merveilleux. Avec la danse, il est compliqué de tricher : le corps ne triche pas, on voit bien à qui on a affaire. La danse c’est évidemment le mouvement, et l’inspiration, quelque chose qui se nourrit d’une âme, comme la musique. »

Élégance naturelle

En ouverture de ce festival « en mouvements », Hip Hop Opening, création pour dix danseurs et danseuses et un DJ, commandée à deux représentants de la jeune génération, Saïdo Lehlouh et Bouside Ait Atmane, membres du collectif FAIR-E à la tête du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne : « Olivier Meyer nous a invités à réfléchir autour de la thématique de la célébration, explique le premier. Elle est très présente dans nos cultures hip-hop, souvent par des rassemblements sans autre chose à célébrer que le fait de se réunir. Quelle est la particularité des danseurs ensemble, qu’est-ce qui fait leur envie? On s’est vite rendu compte que c’était l’élégance, l’humilité, l’aura d’une certaine classe au naturel. » Le second enchaîne : « On a voulu travailler avec des danseurs, parmi les meilleurs de leur génération, qu’on connaît depuis longtemps. On s’est vu grandir, nos corps et nos danses ont vécu ensemble pendant des années, d’une certaine façon notre processus de création a commencé bien avant l’invitation de Suresnes Cités Danse : on était déjà dans la même intention, le goût de ce que propose l’autre, l’admiration du détail, les relations individuelles et la façon dont le groupe donne sa place à chacun. » Saïdo Lehlouh vient du break, Bouside Ait Atmane du locking, ils ont tous les deux traversé l’ensemble des disciplines : « Dans nos esthétiques, on nous invite à nous approprier chaque mouvement, à le déformer, pour que sa caractéristique devienne propre à chacun des danseurs. On ne devrait d’ailleurs pas parler de la danse hip-hop : il y a autant de danses hip-hop qu’il y a de danseurs hip-hop… Chaque esthétique est influencée par l’environnement, le lieu géographique, l’époque, même par la gravité! Apprendre le hip-hop à la montagne ou à New York sont deux choses complètement différentes. Le mouvement n’a pas le même poids, la même envergure, le souffle n’est pas le même. »

Un art nouveau

Olivier Meyer le reconnaît : la façon de travailler est totalement différente de ce qu’il a connu naguère, la part d’improvisation est devenue considérable. « C’est quelque chose de formidable dans ce monde tellement normé : j’aime bien le chaos parce qu’on ne peut pas faire ce métier sans l’aimer d’une certaine manière. Ce qui est vrai un jour peut être démoli le lendemain. Il faut des contraintes, évidemment, mais cela nourrit la créativité. » Il n’est pas anodin que ce théâtre, dans une cité-jardin emblématique avec ses briques et son histoire, là où Jean Vilar a monté les premières représentations du TNP avant Chaillot, ait accompagné l’émergence d’un festival d’art populaire - fortement soutenu par la ville de Suresnes et le Département, lequel accompagne également depuis 2007 le dispositif de soutien à la jeune création chorégraphique Cités danse connexions. Le hip-hop, ses esthétiques et son énergie ont infusé dans nombre de domaines de la danse contemporaine. « À chaque fois, le brassage d’âges et d’origines du public est fantastique, souligne Olivier Meyer. La danse est universelle et l’admiration réciproque entre les artistes : les danseurs hip-hop sont bouche bée devant les danseurs classiques, dont la danse est absolument codée et absolument virtuose comme l’est la leur. Même si les échelles de temps ne sont pas les mêmes, il y a une compréhension mutuelle entre personnes si différentes qui au fond se ressemblent beaucoup. »

À jeter un œil sur les trente dernières années, l’impression est tenace d’avoir assisté en privilégiés à l’invention d’un art nouveau. « Nouveau est un mot qu’il faut absolument utiliser pour survivre dans notre époque : si ce n’est pas nouveau, nous sommes morts, s’amuse le créateur d’un festival bien vivant. Plus sérieusement, je pense qu’il y a des choses qui doivent demeurer. Tout est en mouvement bien sûr, mais si notre époque n’est que mouvement, et d’une certaine manière agitation, où se trouve l’enracinement qui va nous permettre de faire grandir un art? Le nouveau, ce n’est pas faire table rase du passé, c’est un enrichissement. L’avenir du hip-hop n’est pas l’hybridation pour faire une soupe infâme, c’est la rencontre pour se nourrir d’univers différents. Si Suresnes Cités Danse existe toujours, c’est parce que nous avons tout le temps réinventé les choses. Nous ne sommes pas ici dans un musée mais dans un théâtre. » Saïdo Lehlouh et Bouside Ait Atmane sont sur la même longueur d’onde – le même move, la même vibe pour le dire comme eux – qui donne toute sa place à l’autre, qu’il soit partenaire, danseur ou spectateur : « Nous n’imposons pas notre esthétique, nous proposons des règles de rythme, d’intention, d’adresse à l’autre. Ces choses-là ont du sens par rapport à nos espaces habituels de création : les cercles, les battles, les concours, les entraînements dans la rue ou en salle. Quand des gens viennent nous voir à la sortie d’un spectacle où des interprètes se sont donnés à 200 % en disant “je n’ai pas trop compris”, ma seule question est : “est-ce que tu as ressenti?” Le spectateur est aussi un acteur du théâtre. »

Didier Lamare