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La Verticale, un projet monumental

La Verticale, un projet monumental

La Verticale, sculpture de Jacques Zwobada, installée au cœur du parc départemental André-Malraux, est une œuvre gigantesque à plus d’un titre, de ses dimensions à sa fabrication. 

Près de sept tonnes et dix mètres de haut...

Dix mètres de hauteur pour un poids de 6,5 tonnes environ. La Verticale, toute en courbes et en lignes qui se projettent vers le haut, est colossale à tous points de vue. Elle prend place à la rentrée au cœur du parc départemental André-Malraux, à Nanterre. Cette sculpture de Jacques Zwobada est un d’abord un geste d’amour pour sa femme Antonia, décédée onze ans avant lui, en 1956. « Après la mort de ma mère, il a énormément travaillé pour la séduire dans l’au-delà », se souvient sa fille, Anne Filali. Aussi, il entreprend de lui élever un mausolée à Mentana, au nord de Rome, avec une allée de cyprès et de bronze et, au milieu, cette sculpture monumentale évoquant leur couple. « La Verticale est finalement la flamme de l’amour éternel, poursuit son ami et ancien collaborateur, l’architecte Denis Sloan. Mais chacun peut y voir sa propre définition, cette sculpture laisse une grande liberté d’interprétation, ce qui prouve que ce n’est pas une œuvre figée. Cela correspond bien à l’esprit de Jacques Zwobada qui était lui-même très ouvert, très libre. » L’art abstrait, déjà abordé par l’artiste au début des années 50 avec ce réseau de lignes courbes, se déploie et La Verticale va devenir, au fil du temps, un thème récurrent de son œuvre. Pendant une décennie, Zwobada travaille sur cette sculpture en la décortiquant sur des croquis et en en réalisant plusieurs versions.« Cette œuvre était obsessionnelle chez lui : il l’a travaillée jusqu’au dernier moment, il l’affinait, la recommençait et à chaque étape il la pérennisait en la faisant mouler car il ne savait pas s’il arriverait à en faire une encore plus belle », précise Anne Filali. Son atelier de Fontenay-aux-Roses - acheté à la fin des années 20 pour pouvoir réaliser l’imposante statue équestre de Simon Bolivar à Quito - est d’ailleurs rempli de carnets déclinant l’œuvre sous tous les formats, certaines étant imaginées pour atteindre quarante mètres de hauteur ! Quatre à six d’entre elles, parmi les plus abouties, ont été choisies pour servir de modèle dans le cadre d’un appel à projet pour l’aménagement de la Porte d’Orléans en 1958. La Verticale n’est pas retenue mais elle est néanmoins visible aujourd’hui à l’entrée de l’université Jules-Verne d’Amiens, sous la forme d’un agrandissement à 4,75 m réalisé en 1975.

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Dans l'atelier de Jacques Zwobada à Fontenay-aux-Roses. © CD 92 / Julia Brechler  
 
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Le sculpteur a passé les dernières années de sa vie à retraviller sans cesse La Verticale. © CD 92 / Julia Brechler  

 

Puzzle en 3D

Le modèle retenu pour la version installée à André-Malraux à l’initiative du Département fait, lui, deux mètres de haut. Il a donc fallu quintupler sa taille pour obtenir les dimensions de la sculpture finale. Direction l’atelier Creaform, situé en plein cœur de la Sologne et spécialisé dans l’impression 3D de grands formats. Ici, le papier est remplacé par des blocs de résine polyuréthane et le matériel installé dans de grands hangars pour avoir la place de façonner à l’aise. Les techniciens ont d’abord procédé à une numérisation de l’original et modélisé chaque surface et aspérité de l’œuvre pour obtenir une maquette 3D et un maillage de points. Ces « sculpteurs de pixels » ont ensuite tout multiplié par cinq pour avoir l’agrandissement de l’œuvre, tout en prenant en compte la rétractation du bronze au refroidissement d’environ 1,5 %. À partir de ce fichier numérique, la sculpture a été ensuite découpée virtuellement en sept étages puis chacun de ces étages à son tour divisé en plusieurs morceaux, de façon que chacun d’entre eux puisse être fabriqué par l’imprimante en termes de taille et de volume. Puis vient l’étape d’usinage, avec un gros bloc de résine placé sur un axe rotatif que les différents forets vont venir peu à peu dégrossir et déshabiller de sa matière. Selon la complexité de certains morceaux, l’opération peut prendre jusqu’à vingt-quatre heures. « En fonction de la forme de la pièce et de ses contraintes, on utilise des machines de différentes capacités de trois, quatre ou cinq axes avec des angles d’attaque différents, explique Nicolas Grenier, directeur de Créaform. Après l’usinage, les morceaux sont ensuite fixés entre eux pour reconstituer l’étage, un peu comme un grand puzzle. » Malgré le recours à la 3D, qui fait gagner en précision, les imperfections grossissent elles aussi, tant et si bien que le moule a besoin d’être encore une fois affiné. « Mais la résine utilisée est stable, très légère et facile à retravailler », poursuit Nicolas Grenier qui qualifie ce projet de « pharaonique et exceptionnel » .

Coulée et ciselure

Les morceaux ont ensuite voyagé jusqu’à la Fonderie de Coubertin, située dans la vallée de Chevreuse. Là-bas, une équipe de quinze personnes a travaillé près de deux ans sur ce chantier, afin que la résine devienne progressivement métal. « C’est une œuvre compliquée, aussi bien par sa forme tortueuse que par ses dimensions », résume Christophe Béry, le directeur des lieux. Chaque morceau va subir plusieurs transformations, passant successivement d’empreinte positive à négative. Dans un premier temps, il est moulé avec de l’élastomère sous forme liquide puis enrobé d’une autre résine pour solidifier le tout. C’est dans ce moule que de la cire est coulée pour faire un nouveau transfert d’empreinte qui épouse parfaitement la forme de la sculpture. Ce moule en cire solidifiée est rempli d’un noyau en plâtre avec des armatures. Cette nouvelle pièce est à son tour recouverte d’un moule carapace fait de barbotine - un matériau dit réfractaire qui résiste à de hautes températures - et un sablage qui va venir figer cette couche. Puis l’ensemble est cuit à basse température, environ 150°C, pour faire fondre la cire, la laisser s’échapper et ainsi créer un vide d’environ 7 millimètres d’épaisseur dans lequel le métal va venir prendre sa place. La sculpture de Zwobada est en bronze, soit un alliage de cuivre, d'étain, de zinc et de plomb qui atteint la fusion entre 1 030 et 1 040°C. Des lingots sont donc fondus pour former un mélange d’une centaine de degrés au-delà, à 1 120°C, mélange versé dans la coque de barbotine et mettra une journée à refroidir. L’œuvre est ensuite en décochage, c’est-à-dire libérée de tout ce qui n’est pas en bronze : sa coque, son noyau, ses armatures…

Il y a des choses que l’on voit avec les yeux et d’autres avec les mains

Débarrassée de cette carapace, La Verticale n’a pas encore fini de prendre forme et entre dans l’étape très délicate de la ciselure. Christophe Béry passe et repasse ses doigts sur la sculpture. « Il y a des choses que l’on voit avec les yeux et d’autres avec les mains ». Dans un coin de l’atelier, des photos de l’original donnent aux ciseleurs l’objectif et la patine à atteindre pour coller au plus près à la volonté de Zwobada. Enfin, dernières étapes minutieuses, la mise en place des armatures dans la structure et la soudure des étages entre eux par des plaques d’inox. Une fois La Verticale totalement assemblée, elle est acheminée au parc par camion pour le montage.
L’installation de cette œuvre, sur la pelouse d’André-Malraux à Nanterre, entre l’étang et le Théâtre des Amandiers, parachève ainsi plus un projet au long cours. Le lieu n’a pas été choisi au hasard, Zwobada ayant entretenu des liens très forts avec l’écrivain devenu ministre des Affaires culturelles. La « verticalité » de l’œuvre, renforcée par son reflet dans l’eau, apportera un contrepoint poétique aux tours de Paris La Défense pour devenir l’élément signal du théâtre depuis le parc. Cette œuvre est enfin un jalon de plus sur le parcours d’art contemporain du Département, au même titre que d’autres sculptures installées dans l’espace public comme La Défense de Rodin et le Pouce de Cesar à La Seine Musicale, ou encore la Tour aux figures de Dubuffet à Issy-les-Moulineaux. Une nouvelle manière de mettre en valeur l’histoire de l’art attachée au territoire alto-séquanais.

Mélanie Le Beller pour HDS.mag n°90 septembre-octobre 2023