"Face à faces. Les figures des Hauts-de-Seine". L'exposition photographique grand format.

Découvrez et redécouvrez ici, trente-sept « portraits » de l'exposition photographique grand format en plein air Face à faces. Les figures des Hauts-de-Seine, réalisée par le Département et ses photographes Julia Brechler, Stéphanie Gutierrez-Ortega, Willy Labre et Olivier Ravoire. L'exposition est installée jusqu'au 15 décembre aux parcs départementaux de Sceaux, allée des Clochetons, et des Chanteraines, zone des Tilliers, à Villeneuve-la-Garenne.  
Il suffit de cliquer sur les photos pour les agrandir et sur les flèches de droite pour les faire défiler ! 

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Regarder l’autre, face à face, est une affaire de vivant. Voir dans le portrait de son visage le portrait du nôtre, un privilège humain. Partir à la rencontre des figures des Hauts-de-Seine en traversant l’histoire et les siècles sans avoir beaucoup à bouger, un cadeau que seul l’art peut offrir.
De ces figures des Hauts-de-Seine, beaucoup sont connues, certaines sont universelles : des écrivains, des sculpteurs, des scientifiques, des héros et des gens ordinaires. Il y a même un sportif. En bronze, en marbre, en pierre, en ciment, en terre, en porcelaine, ou encore en moulage en résine, cette exposition présente toute la diversité des sculptures.
L’exposition Face à faces relève à la fois du domaine de la technique et des territoires de l’imaginaire, de l’art et de la magie. Dans ces captures photographiques de portraits sculptés passe à l’évidence quelque chose de plus qu’une composition de lignes et de formes : un peu de celui qui est représenté, beaucoup de ceux qui, le ciseau à la main, l’œil au viseur, ont saisi la présence plénière, le moment exact, la poésie.

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Fontaine de jouvence

« Les fontaines et les eaux font l’âme des jardins », citait Georges Siffredi, président du Département, lors de l’inauguration des cascades et canaux restaurés du Domaine départemental de Sceaux. L’aboutissement d’un chantier exceptionnel, tout autant qu’essentiel puisqu’il est question de l’âme – celle d’un domaine aménagé pour Colbert par le jardinier du roi, André Le Nôtre. Le parc renouait aux Journées européennes du patrimoine 2021 avec une féerie de plein air très symbolique en ces temps de confinement.

Mais alors, par quelle bizarrerie de l’histoire de l’art Auguste Rodin se retrouve-t-il associé au Grand Siècle du Roi Soleil ? Parce que, vers 1930, l’architecte chargé par le Département de la Seine de sauver de la ruine les pièces d’eau eut l’idée de réutiliser les mascarons que Rodin avait modelés pour les fontaines des jardins du Trocadéro lors de l’Exposition universelle de 1878. Démontés, ils dormaient dans la sécheresse d’un entrepôt. Auguste Rodin avait eu le temps de devenir le génie qu’il fut, de s’installer Villa des Brillants à Meudon, d’y mourir et d’y être enterré. Sans avoir imaginé la résurrection de ses mascarons dans l’eau de jouvence de Sceaux, où ils feraient, paraît-il, la pluie et le beau temps.

Dans l'ombre de l'effroi

Sur le mont Valérien, lieu de supplice de mille otages et résistants dans la clairière des Fusillés, le Mémorial de la France.
Combattante est un symbole et un tombeau. Aux seize morts pour la France de 1939 à 1945, auxquels s’ajoute désormais le dernier des Compagnons de la Libération, mort en 2021, répondent seize hauts-reliefs. Contre le mur extérieur, ce sont les enluminures de bronze du récit, héroïque et douloureux, de la France depuis l’invasion jusqu’à la libération du territoire.
« Dans l’ombre des forêts, les maquisards guettent, prêts à frapper. Vigilante et résolue, la France veille sur eux. » La Gorgone mythologique avait le pouvoir de pétrifier quiconque croisait son regard : ni le mythe ni la légende d’un siècle déchiré par la guerre n’interdisent d’entendre aussi l’effroi dans le silence du maquis.

La Légende d’un siècle

Prise dans son ensemble, La Colonne du savoir – dressée symboliquement devant une bibliothèque - est un artifice de trois mètres et demi de haut, un empilement de manuscrits constituant le corps formidable de l’écrivain dont la tête pratique L’Art d’être grand-père. 
C’est dans le profil taillé à la manière des rochers et des châteaux qu’il dessinait à l’encre que Victor Hugo échappe au pittoresque pour rejoindre sa vérité monumentale : le travailleur de la mer en exil, l’homme qui a vu de si près les foules misérables, le bâtisseur médiéval à la pensée écrite en pierre, le politique impuissant devant la souffrance mais déterminé à détruire la misère. « Qu’est-ce que cette terre? Une tempête d’âmes. » Sur la fureur de ce portrait de basalte court le fil arachnéen de la nature, comme si le verbe tonitruant se conjuguait discrètement à la fragilité de l’existence. « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai. »

Perspective secrète

Bien avant l’avènement de « la société du spectacle », Napoléon fut l’homme politique le plus représenté par les artistes, les artisans, la tradition populaire. Un bicorne, une redingote, la main glissée dans le gilet - et mille et un visages. Du général Bonaparte romantique, échevelé, jusqu’au masque cireux de Napoléon sur son lit de mort, à peine a-t-il eu le temps d’avoir le visage qu’il méritait ; aussi la postérité se contente-t-elle des nombreux visages qu’il avait désirés. 
Le sculpteur italien connaît son Antiquité sur le bout des doigts. De face, la France et Rome se rejoignent, l’Empereur Napoléon est l’Empereur Auguste. Cependant - et c’est le propre de toute œuvre artistique bien née de dire plus qu’elle ne montre -, il suffit de tourner autour pour voir apparaître le profil corse d’un autre homme, qui ne lui ressemble pas et pourrait être le vrai. Une incarnation juvénile, au regard rêveur porté loin sur la perspective secrète de cette Malmaison choisie comme un décor pour la gloire et l’amour.

Le corps de l'histoire

Corps d’athlète droit contre la muraille de l’Occupation, visage de héros juvénile tourné vers la liberté conquise les armes à la main, il y a du mythologique dans cette représentation dédiée à Henri Rol-Tanguy (1908-2002), figure de la Résistance, Compagnon de la Libération.
L’ouvrier métallurgiste syndicaliste et militant communiste se révèle un combattant d’élite, d’abord au sein des Brigades internationales pendant la guerre d’Espagne, puis dans la clandestinité en France : responsable militaire des Francs-tireurs et partisans (FTP), chef régional des Forces françaises de l’intérieur (FFI) menant l’insurrection parisienne, il intègre ensuite l’armée qui combat jusqu’en Allemagne. Du « colonel Rol », on célèbre ici le corps transfiguré d’un monument de l’Histoire.

Le chêne et le bronze

Les deux géants semblent en conversation. En plan large, Malraux c’est une main crochée à des visions, et de Gaulle un bloc de solennité. Mais sous cet angle, c’est mieux, comme si Charles de Gaulle écoutait André Malraux, conservateur du Musée imaginaire, inventeur du ministère de la Culture, comme si l’artiste avait l’oreille du pouvoir. 
Malraux a la voix de bronze patiné qui convoquait à l’entrée du Panthéon le terrible cortège de Jean Moulin. Et l’on aimerait que de Gaulle soit sculpté dans le bois, celui des Chênes qu’on abat pour reprendre le titre du livre - miroir de leur dernière conversation - que l’écrivain, fort d’une proximité d’un quart de siècle avec le général de la Résistance puis le président de la République, publiait en 1971, encore « sous le glas de Colombey ».

Lou Tresor dóu Felibrige

Le sculpteur était né comme son modèle dans cette Provence où l’on parle avec l’accent la langue d’oc. Frédéric Mistral (1830-1914) la servit par ses écrits qui lui valurent le prix Nobel en 1904 - la merveille Mireille, Le Trésor du Félibrige, « dictionnaire provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d’oc moderne » – et la fondation de l’association du Félibrige pour la sauvegarde et la promotion de celle-ci. Rien ne prédisposait le petit jardin de Sceaux à s’associer ainsi à la mémoire occitane, sinon la découverte tardive de la tombe de l’académicien Florian, poète et fabuliste cévenol, qui y mourut au XVIIIe siècle après avoir été un temps au service du duc de Penthièvre, héritier du domaine des Maine.
Aussi curieux que cela paraisse, tout est vrai : l’accent provençal inopiné de la ville, le nom prédestiné de l’écrivain ; même l’émotion de la lumière n’est pas exagérée : « Lou soulèu me fai canta » était la devise de celui que le soleil faisait chanter.

En avant !

Droit, debout, la main sur le pommeau de la canne brisée, Philippe de Hauteclocque (1902-1947) - Leclerc est un nom de guerre - avance et avance encore. Patriote et rebelle, il a été envoyé par de Gaulle dans les territoires africains de la France Libre où il forge au combat la 2e Division blindée. Avec elle, il débarque en Normandie, entre par Antony dans Paris où il mène la bataille avec Rol-Tanguy, puis c’est la libération de Strasbourg, la campagne d’Allemagne, l’Extrême-Orient, le retour en Afrique. En avant ! 
On dit qu’il doit sa canne à une claudication persistante après un accident de cheval. Il en use comme d’un emblème, baguette de sourcier du destin, bâton de maréchal posthume. On en retrouve un morceau brûlé parmi les décombres de l’avion militaire qui s’écrase dans le Sahara. L’énigme du sphinx est restée suspendue : le général Leclerc n’aura pas eu le temps d’atteindre sur trois jambes le soir de sa vie. En avant, pour l’éternité.

Une figure d’homme

Le corps penché à la tribune, parlant avec ses mains comme il est d’usage au pays occitan dont il est issu, Jean Jaurès (1859-1914) est tellement l’image que l’on se fait du tribun qu’il frôle la caricature. C’est en gros plan que le visage dit l’intensité de la flamme, la force tranquille et la puissance oratoire coulées dans le bronze depuis un siècle, autant dire l’éternité. On a perdu depuis le sens - et probablement le goût - des mots assemblés comme une machine-outil à réveiller les torpeurs, travailler les consciences, fabriquer des lendemains.
Ce visage, cette gueule comme on disait à l’époque, inspire de hautes vues. Laissons de côté pour une fois le député et le journaliste, le mouvement socialiste et le journal L’Humanité, le républicain laïc de 1905 et le pacifiste assassiné en 1914. Pour écouter le Jaurès de 1888, agrégé de philosophie, s’adressant à travers ses instituteurs à la jeunesse du pays, avec déjà cette « confiance inébranlable pour l’avenir » - à condition qu’on le cultive : « Il faut leur montrer la grandeur de la pensée; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. […] Dans chaque intelligence il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront. »

Couleurs d'enfance

Dans la famille Belmondo, il y avait le fils, Jean-Paul « le magnifique », et le père, Paul le classique, sculpteur dont ses enfants n’ont cessé de défendre une mémoire artistique oubliée. « J’admirais en lui le défenseur de la grande tradition classique, déclarait l’acteur à l’annonce de la création du musée Paul-Belmondo à Boulogne, voisin du musée des Années 30 et du sculpteur Paul Landowski. Mais ce classicisme n’était pas synonyme de froideur, son art n’était jamais figé, toujours sensible, et je pense que c’est pour ça qu’il n’est pas démodé. […] On comprend aujourd’hui que l’art du XXe siècle a aussi été traversé par un courant classique, un art de mesure, révélateur d’une tendance bien française qui a produit de nombreux chefs-d’œuvre. C’est à cette tradition que se rattache mon père. » Modelés par le père, ces visages inaltérables rencontrés au hasard des étagères du musée ressemblent aux souvenirs du fils, dans l’innocence colorée que la nostalgie donne à toutes choses.

Biscuit rose

Flore, divinité romaine des fleurs et du printemps fécond, fut d’abord un original de marbre avant d’éclore, sous l’étroite surveillance de Carpeaux lui-même, en de nombreuses répliques destinées au commerce. En bronze, en plâtre ou, comme ici, dans la délicieuse matière du biscuit : une porcelaine nue, sans émail, d’une blancheur à croquer – le rose n’étant que lumière, reflet de la brique et du four sur cette « fille du feu » qui aurait pu inspirer Gérard de Nerval.
Mort dans les souffrances de la maladie au château de Bécon, à Courbevoie, Jean-Baptiste Carpeaux portait un amour que certains jugeaient immoral au corps humain, au réalisme de la chair, à la sensualité de la peau. Surtout au fronton des monuments où le mouvement libre de ses figures indignait un siècle corseté.

Le rescapé de l’Enfer

Qui conserve du fameux Penseur de Rodin l’image d’un rêveur calme et tranquille ferait bien d’y regarder à deux fois. La grimace tordue sur la main, la puissance et la matière des muscles, noués comme des linges mouillés, ont vite fait de nous rappeler à l’ordre : nous ne sommes pas dans une séance de bien-être par la méditation et ce Poète-là – car Le Poète fut l’un des premiers titres donnés à son œuvre par le sculpteur - ne fait pas dans la bluette. C’est Dante, l’auteur de La Divine Comédie, imaginé par Rodin comme un personnage de son chef-d’œuvre monumental La Porte de l’Enfer : « Par moi on va vers l’éternelle souffrance / Par moi on va chez les âmes errantes. […] Vous qui entrez, abandonnez toute espérance. » 
Pire : avant de s’émanciper du portail infernal et de prendre du volume en même temps que son autonomie, Le Penseur aurait été inspiré par l’un des damnés des cercles de l’enfer, si ce n’est par le juge impitoyable les condamnant aux régions infernales. Autant dire qu’il revient de loin.

La République, c’est lui !

Entre la Restauration et les Empires, la République s’y reprend à trois fois avant de s’installer durablement en France. Léon Gambetta proclame en 1870 une Troisième République encore virtuelle, il s’échappe de Paris assiégé en ballon pour organiser, en vain, la guerre en province. Pendant dix ans, le « commis voyageur de la République » sillonnera la France pour acclimater ses idées au territoire et convaincre le paysan, le commerçant, le fonctionnaire. La matière et la patine du bronze, c’est le grain de la voix d’un artiste de la parole : « Quand Gambetta monte à la tribune, écrivait l’un de ses adversaires, les premières phrases sont toujours pénibles, comme s’il tirait d’un pas fatigué le lourd attirail de la longue période. Mais, graduellement, le large et impétueux courant qui traverse tout le discours dessine, précipite en marche et roule d’un élan jusqu’au bout. »
Que rajouter après tant d’éloquence ? Une dernière chose : cette « statue de la liberté » à la française est l’une des rares œuvres visibles en Île-de-France d’Auguste Bartholdi, le sculpteur de la fameuse Liberté éclairant le monde américaine.

Le peule des ombres

Soudés, ils font bloc derrière les murs où l’inscription, en français et en hébreu, invite à réunir en un seul symbole les anonymes aux portes de la mort : « Aux martyrs de l’Holocauste, paix à leur âme ».
Même si le terme d’Holocauste est moins utilisé aujourd’hui que celui de Shoah (« anéantissement » en hébreu) pour désigner l’extermination des Juifs d’Europe par l’Allemagne nazie, même si l’appellation d’« armée des ombres » semble réservée depuis le film de Jean-Pierre Melville aux clandestins de la Résistance, même si et surtout parce qu’il n’est pas question ici de faire des phrases, comment ne pas être bouleversé par la proximité de représentation et les multiples connexions de ce monument à l’humanité prise dans le magma de la haine ?

Mère courage

Victor Hugo la déclarait Virgo Major – plus grande que l’homme : « Ta bonté, ta fierté de femme populaire / L’âpre attendrissement qui dort sous ta colère / Ton long regard de haine à tous les inhumains / Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains ». Si puissante est l’image de la militante révolutionnaire, figure de la Commune de Paris déportée en Nouvelle-Calédonie, qu’on oublie que Louise Michel (1830-1905) fut institutrice, enseignant aux enfants le jour et donnant des cours du soir aux ouvrières à Paris, puis instruisant à Nouméa aussi bien les descendants de déportés que les natifs kanaks.
Arborant le drapeau noir « portant le deuil de nos morts et de nos illusions », Louise Michel réserve à l’encre et au tableau une teinte d’espoir. En exergue de son Livre du jour de l’an : historiettes, contes et légendes pour les enfants, on peut lire : « Enfants, vous êtes l’avenir, soyez justes : tout est là. »

Une question de point de vue

Fermons les yeux et écoutons l’histoire officielle racontée par ce monument. La Victoire aux ailes déployées surplombe un fantassin qu’elle tient par les épaules, peut-être même le guide-t-elle.
Ouvrons-les maintenant. En contre-plongée, que voyons-nous ? Une femme, une mère étreint le soldat, à moins que ce ne soit la Mort elle-même qui lui murmure à l’oreille que le moment est arrivé et que ce n’est pas un jour de gloire. Cela pourrait venir de La Grande Illusion de Jean Renoir et c’est triste à faire pleurer les pierres. Combattant médaillé de la Grande Guerre, Charles Yrondy s’était fait une spécialité des monuments commémoratifs. À Levallois, il avait répondu à une commande pacifiste. Peut-on imaginer qu’à Colombes, où il résidait, la condition humaine du soldat dans la boue des tranchées ait pu s’infiltrer sous le triomphe de la commande ? Une simple question de point de vue.

C’était à Mégara…

Pour un sculpteur, représenter Praxitèle, l’un des plus célèbres confrères de l’Antiquité grecque, c’est pour ainsi dire pratiquer la mise en abyme : la pièce de théâtre dans la pièce de théâtre, l’autoportrait du peintre reflété dans le miroir, le narrateur du roman en train de s’écrire et ainsi de suite… Une manière de s’attribuer le mérite d’une beauté grecque qui ne manque pas d’audace. 
Cependant, d’aussi près, le Penseur de pierre échappe à la référence pour aller vagabonder ailleurs, dans un Orient rêvé, imaginaire, dont le XIXe siècle et le début du XXe étaient friands. C’est la Babylone de Nabuchodonosor, l’Assyrie de Sardanapale ! On entend presque, dans le rugueux de la pierre, tonner le début de Salammbô de Flaubert : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. »

Un chagrin de pierre

Des monuments partout, dans toutes les communes de France, pour transcender la grande hécatombe des tranchées, tirer un trait sous la dernière colonne et refermer le registre des morts. On pense à Philippe Noiret dans le film de Bertrand Tavernier, La Vie et rien d’autre, courant les champs pour recenser les disparus dans la bataille. On pense aux scènes horrifiques du best seller de Pierre Lemaître et du film d’Albert Dupontel qui s’ensuivit, Au revoir là-haut. À la frénésie burlesque et cynique des sculpteurs croulant sous la commande publique.
Sauf que là, on n’y pense pas. Ce monument aux morts pacifiste n’est pas commun. Aucune arme, des soldats émaciés – parmi lesquels un « soldat des colonies » – dont on n’est pas sûr qu’ils soient des survivants. Il faut aller sur place faire la visite aux morts, d’autres surprises vous attendent qu’on n’attend pas : le corps d’un fusillé pour l’exemple en 1917, le geste d’un ouvrier brisant l’épée sur son genou. Plus qu’un monument aux morts, c’est le chagrin de pierre d’un ancien combattant.

Mythe équestre

Monument épique, la statue équestre est un genre en soi, qui célèbre depuis l’Antiquité le monarque triomphant, le chef militaire, et tout ce qui à un titre ou un autre chevauche entre les deux. Héros conquérant d’un empire colonial d’une autre époque, Ferdinand-Philippe d’Orléans n’a pas régné ni n’est mort sur le champ de bataille, mais d’un accident de coche, le 13 juillet 1842, qui lui brisa la tête contre le pavé de la route de Neuilly.
Évoquant les monuments funéraires de la Renaissance italienne, l’artiste a mis en scène un mythe, entre Don Giovanni et la statue du Commandeur, un Lorenzaccio poétique dont Alfred de Musset, son condisciple de lycée, pleure la mort, « Non pas en courtisan qui flatte la douleur / Mais je crois qu’une place est vide dans l’histoire / Tout un siècle était là, tout un siècle de gloire / Dans ce hardi jeune homme… » Seul le cheval paraît s’effrayer du destin qui l’attend.

L'homme qui vole

Les usagers de la ligne 1 du métro croisent tous les jours Les Hommes de la cité. Avec leurs visages qu’on dirait sortis d’un roman graphique d’anticipation et leurs corps d’arbres déformés par le vent, ce sont des hommes qui marchent et qui leur ressemblent, dans l’univers à la fois quotidien et hors norme de Paris La Défense. Accroupi sur sa colonne, de l’autre côté de l’escalier, on remarque peut-être moins celui-ci. Il fait partie de la série, mais un peu à l’écart, comme un Birdy rêveur devant sa rambarde, échappé de la réalité des autres, libre, prêt à s’envoler. 
Un saut de l’ange que connaît bien le couple de sculpteurs : « Dans la création, explique France Siptrott, tu n’es que toi, seul au monde et, dans le lâcher-prise qui s’apparente au saut, après toute la pesanteur qui a été la tienne, soudain tu te livres à l’apesanteur. »

Entendez-vous dans les campagnes

Parce qu’il ne vit pas seulement d’amour et d’argile fraîche, le sculpteur doit répondre aux sollicitations officielles, même si son inspiration n’est pas toujours dans l’air du temps. En 1879, la préfecture de Paris lance un concours pour un monument figurant la défense héroïque de Paris contre l’envahisseur prussien en 1870 et 1871. Il y a du beau monde sur les rangs, dont Rodin. Lequel s’enflamme, modèle un guerrier mourant inspiré d’un Christ de Michel-Ange qu’il surplombe d’une allégorie républicaine ailée, vociférant dans la tempête. L’étendard sanglant est levé, on reconnaît La Marseillaise du fronton de l’Arc de Triomphe - mais ce n’en est pas un pour Rodin ! Le projet en restera là, avant d’être plusieurs fois agrandi pour trouver une gloire posthume à Verdun. Et de faire sonner la voix de bronze d’une « Marseillaise » selon Rodin aux abords de La Seine Musicale, ainsi que le président Devedjian et le Département l’avaient souhaité.

La Fontaine aux roses

Ne cherchez pas le candélabre de ce côté-ci du monde réel : l’esprit du Grand Siècle tient parfois à une mise en scène, une lumière ambiguë sur l’austérité de la pierre. Qui d’ailleurs est vraiment Jean de La Fontaine, dont on ne retient de l’œuvre que les Fables dont de surcroît on n’entend plus la morale ? Innocent fabuliste, écrivain licencieux, académicien repenti ? Ou patron « sans le savoir » de la société épicurienne et littéraire des Rosati, fondée bien après sa mort ? On ne peut rien lire sur son visage, comme si La Fontaine pratiquait l’art de l’esquive. 
L’aventure ne s’arrête pas dans le secret de l’âme humaine mais chez un éditeur, Denys Thierry, qui fit fortune à la fin du XVIIe siècle en publiant l’écrivain. Ce qui reste de sa propriété aux champs accueille désormais le buste de pierre, copie d’un original en bronze dont les tribulations, installé en 1894 et fondu en 1940, mériteraient à elles seules une fable. La fontaine, les obus et les roses ?

Habiter le ciel

« Le noir illimité, ce frère du silence éternel », écrivait Baudelaire, était très bavard à Jules Janssen (1824-1907) qui savait l’écouter. De retour d’une mission au royaume de Siam en 1875, le « globe-trotter de la physique céleste » obtient la restauration des ruines du château de Meudon, la création d’un observatoire d’astronomie physique, la construction d’une grande coupole et la mise en service, en 1896, de la grande lunette d’observation. Même si la pollution lumineuse en restreint l’usage, elle demeure aujourd’hui encore la seconde plus grande d’Europe et la quatrième au monde. 
Regarder le ciel en astronome, c’est plonger son regard à travers l’espace comme à travers le temps. C’est voir le passé venir vers soi à la vitesse de la lumière : une grosse seconde pour la lune, un peu plus de huit minutes pour le soleil dont Janssen était un spécialiste et, au-delà de notre entendement, vingt mille ans et plus, pour les objets les plus lointains saisis par la grande lunette de Meudon dès le début. Le temps pour Cro-Magnon de devenir Jules Janssen…

Le détective qui met le mystère KO

« Comme Madame Bovary pour Flaubert, Nestor Burma, c’est moi, y compris la pipe à tête de taureau… Le détective qui met le mystère KO, le directeur de l’agence Fiat Lux ! Tu parles : la lumière, c’est celle d’une vieille Mercedes dans la cour du 13 rue de la Gare à Châtillon, où ma trogne de vieil anar surréaliste fait partie du patrimoine. Mon premier Burma, en 1943, il s’appelait 120 rue de la Gare, l’adresse d’un pavillon disparu que l’ami Tardi a quand même dessiné, après. Ma série des Nouveaux Mystères de Paris, je ne l’ai jamais finie, la faute aux démolisseurs, à moins que ce ne soit à cause de tous les coups sur la caboche que j’ai reçus dans ma carrière. Pour finir chez moi à 86 piges, comme un Gavroche monté en graine. Et me retrouver modelé en terre par les mains de celle qui a fait le buste de Chateaubriand, vous savez, celui que le Département des Hauts-de-Seine remet en trophée aux lauréats du prix littéraire du même nom. 
Non mais, Chateaubriand, vous vous rendez compte ? »

Une volonté en action

Il y a le statut mythique de Monsieur Pasteur, vénérable académicien vaccinant le petit berger contre la rage. Et puis il y a cette statue, étonnante incarnation d’une volonté en action, les yeux fixés sur l’horizon. Avec Louis Pasteur (1822-1895), c’en est fini de la magie de la génération spontanée, place à la science qu’on appelle microbiologie. Les chirurgiens lavent leurs mains et leurs instruments. Le procédé de « pasteurisation » sauve aliments et boissons des fermentations morbides. Par l’inoculation de microbes non virulents, on « vaccine » les animaux et les hommes. Dans son laboratoire du domaine de Villeneuve-L’Étang, à Marnes-la-Coquette où il imagine l’Institut qui portera son nom, Pasteur n’est pas seul : il marche devant. Les pasteuriens, « nomades audacieux », défrichent à sa suite le territoire hostile des maladies infectieuses : la diphtérie d’Émile Roux, le BCG contre la tuberculose d’Albert Calmette et Camille Guérin, la peste d’Alexandre Yersin… 
On meurt beaucoup moins désormais des affections qui, jadis et naguère, décimaient des classes d’âges et faisaient tomber les civilisations. Deux cents ans après la naissance de Pasteur, et en dépit des faux prophètes, nous ne sommes pas à la fin de l’histoire.

L’homme aux mains d’argile

Enfant pied-noir né en Algérie dans une famille d’origine espagnole qui s’installe ensuite au Maroc, Marcel Cerdan appartient à l’élite populaire de ceux dont la France connaît encore le nom bien après leur disparition de l’affiche. À l’image d’hier Jean Gabin au cinéma, demain sans doute Zinedine Zidane artiste du foot. Champion de France, d’Europe, du Monde, malgré des blessures répétées au poignet qui lui valent entre autres surnoms celui de « l’homme aux mains d’argile », Marcel Cerdan est un gentil en ville et un furieux sur le ring, un rassembleur des énergies d’après la guerre, le symbole de la revanche, de la gloire - et de la famille malgré l’hymne à l’amour interdit d’Édith la môme Piaf.
Sous la patine de chair aux traces d’usure comme autant de coups reçus, le « bombardier marocain » n’aura pas eu le temps de prendre sa revanche au Madison Square Garden contre « Raging Bull ». Le 28 octobre 1949, l’avion qui l’emportait vers New York s’écrase aux Açores. Il avait 33 ans.

Un conte de Noël

L’arbre de Noël, les livres poussiéreux, le regard indéchiffrable : Charles Dickens aurait-il transporté dans notre Département Ebenezer Scrooge, vieil avare glacial transfiguré par la magie de Noël, le personnage le plus célèbre de ses contes, du moins dans le monde anglo-saxon ? 
Mais non, la géographie, même littéraire, a ses contraintes, et la sculpture ses faux-semblants. Ce Monsieur est le très honorable André Theuriet qui fut maire de Bourg-la-Reine de 1894 à 1900. C’est le profil qui lui vaut ce portrait à la Dickens, « dur et tranchant comme une pierre à fusil ». De face, on admire « le regard caressant de ses yeux limpides » comme le déclamait au pied du monument un confrère de l’Académie française. Car la littérature, tout compte fait, n’est pas absente : André Theuriet était un romancier et poète dont les livres sentent bon la province, la forêt sereine et les coteaux modérés. Pour Scrooge, on repassera !

Côté cour

Oubliez le Molière d’Ariane Mnouchkine, Scapin sur les tréteaux de la commedia dell’arte, Tartuffe aux ténèbres à la Comédie-Française : sur une scène, celui-ci pencherait plutôt du côté cour. Un Molière monochrome - et la résine du moulage n’y est pour rien, l’original en plâtre était du même apparat. Avec Boileau, Lavoisier et Papin, les quatre grands hommes en pied auraient servi de modèle lors du remplacement des statues d’ornement de l’hôtel de ville de Paris après sa destruction en 1871. 
La dynamique du théâtre et la langue fleurie sont restées en friche côté jardin. C’est ainsi que l’époque regardait Molière : un monument du patrimoine, un grand à la cour dont on ferait presque l’égal du roi qu’il servait. En oubliant qu’en 1673 le comédien Molière, d’une profession frappée d’infamie, avait été enterré en catimini.

L’Enchanteur

Des Domaines départementaux, la Vallée-aux-Loups est le plus intime ; son charme romantique tient à un velouté de nuage plutôt qu’à l’éclat du soleil. François-René de Chateaubriand (1768-1848) achète en 1807 une « maison de jardinier, cachée parmi des collines couvertes de bois » où il écrivit et vécut dix années. Au contraire du château de Combourg de son enfance, elle n’impose pas : elle suggère. Le « seigneur sans vassaux et sans argent de la Vallée-aux-Loups » aménage la maison et plante le parc, les arbres sont sa famille, un pavillon de jardin devient la « Tour Velléda », bibliothèque et scriptorium. Quels que fussent ses successeurs, la maison demeure celle de Chateaubriand : le Département en anime les dimensions culturelle et patrimoniale et y a institué un prix littéraire.
Si les Mémoires d’outre-tombe furent ici commencés, c’est à la fin des Aventures du dernier des Abencérages (1810) – nouvelle inspirée par une dynastie maure du royaume de Grenade - qu’on trouvera la plus minuscule et la plus enchanteresse des images poétiques de Chateaubriand ; comme si, d’un tombeau l’autre, la nature s’y reflétait derrière la vitre : « (…) on a creusé au milieu de cette pierre un léger enfoncement avec le ciseau. L’eau de la pluie se rassemble au fond de cette coupe funèbre et sert, dans un climat brûlant, à désaltérer l’oiseau du ciel. »

L’une d’entre elles

La sculpture n’est pas qu’une entreprise de génie solitaire. La Manufacture nationale de Sèvres constitue le plus riche et le plus brillant des ateliers du genre, à la fois lieu de création et conservatoire depuis le XVIIIe siècle d’une sculpture d’artistes, d’artisans et de designers. Un domaine auquel s’associera son voisin, le Jardin des métiers d’art et du design, initié par le Département.
Dans notre galerie de puissants et de célèbres, il reste de la place pour cette figure anonyme de bergère comme il y en eut des milliers pendant des siècles. Saisie dans une ambiance à la Vermeer au hasard d’un atelier, elle est, dans sa terre cuite, l’héritière des poteries travaillées depuis le néolithique. Alexandre Brongniart, illustre directeur de la Manufacture, écrivait que « si les monuments en pierres sont plus durables que les produits céramiques, ils ne peuvent apprendre aux siècles à venir autant de choses que les poteries, qui, en se multipliant, ont rendu à peu près les mêmes services dans les temps d'obscurité, que l'a fait l'imprimerie dans ceux de lumière ».

Une femme puissante

Qu’on ne se méprenne pas : nous voilà en présence d’une jeune fille appelée à devenir une femme puissante. 
Nous sommes à Nanterre, vers 435, dans une période de transition historique entre la fin de l’Empire romain et l’avènement des royaumes francs. La médaille a été remise à la petite fille pieuse par l’évêque Germain de passage à Nanterre. On ne voit pas l’agneau à ses pieds et c’est tant mieux : Geneviève n’était pas bergère mais issue de l’aristocratie gallo-romaine, héritière en cela du domaine familial. Passons sur les miracles et venons-en à la politique. En convainquant les habitants de ne pas fuir devant les troupes d’Attila en 451, Geneviève sauve Paris une première fois. En ravitaillant quinze ans plus tard la ville en céréales – sur un bateau par la Seine depuis la Champagne –, elle sauve Paris une deuxième fois. En travaillant avec Clotilde au baptême de son époux Clovis, elle participe à la fondation du royaume de France. Avant de mourir « dans une bonne vieillesse », selon son biographe burgonde, et d’être pour la postérité sainte Geneviève, patronne de Nanterre et de Paris.

Comme au cinéma ?

La faible profondeur de champ, le grain de l’image en noir de fumée et blanc fané – et, par-dessus tout, les deux regards levés vers on ne sait quelle extase – font penser au cinéma tragique et sublime de Carl Theodor Dreyer. Mais non. Dreyer étant Danois, serait-ce par voisinage scandinave un couple de paysans ou de pêcheurs de l’île de Fårö, fixé sur la pellicule par le Suédois Ingmar Bergman ? Non plus. Le mysticisme de la terre d’Andreï Tarkovski ? 
Vous n’y êtes pas du tout, encore qu’il soit tout de même question de terroir et de nostalgie : c’est une évocation des travailleurs de la vigne, autrefois, quand la viticulture occupait les hauts de la Seine et que l’on consommait, aux fêtes villageoises et dans les guinguettes, un vin acide et clairet. La récolte des pommes de terre avait eu son Angélus grâce à Millet, les vendanges ont gagné leur statue par le ciseau d’un sculpteur né à Tournus. Autrement dit, un Bourguignon…

Confusion exotique

Au bord d’un lagon, c’est Robinson Crusoé dont l’histoire est romancée par Daniel Defoe en 1719. Dans les arbres, c’est la famille du Robinson suisse, écrit par Johann David Wyss en 1812. Et au hameau de Robinson au Plessis, ce sont les guinguettes dans les arbres pour Parisiens en goguette. « Les arbres de Robinson sont devenus autant de salles à manger; où naguère il ne se perchait que de la gent volatile, on a dressé des tables, véritables cabinets de société, où, fourchette en main, des tourtereaux sans plume se content des douceurs. » La plus ancienne est fondée en 1848 par le cabaretier Joseph Gueusquin. Lequel s’inspire du cadre exotique du naufragé, en confondant l’Anglais au perroquet et la cabane dans les arbres du Suisse.
La chronologie et l’attribution des multiples enseignes sculptées à Robinson sont plus inextricables que les branches de châtaignier et nous ne sommes sûrs de rien. Dommage d’ailleurs que la mode soit passée : on aurait aimé un bar le vendredi aux limbes du Pacifique…

Drôle de drame

Vous connaissez l’histoire : trop astucieux, trop ambitieux, Sisyphe passe son temps à rouler les dieux et la mort avant d’être condamné à rouler jusqu’au sommet de la montagne un rocher qui retombe, éternellement. 
Symbole de la vanité et de la démesure de la condition humaine, Sisyphe est « agité par de cruels tourments », chante Homère dans l’Odyssée : il « recommence sans cesse à pousser la roche avec effort, la sueur coule de ses membres, et des tourbillons de poussière s’élèvent au-dessus de sa tête ». À bien regarder le visage du nôtre dans sa lumière bleue, on lit plutôt de la détermination, une force tendue vers quelque chose qui ressemblerait à la liberté. Drôle de drame traduit par Albert Camus dans l’expression « il faut imaginer Sisyphe heureux » reprise par le sculpteur. « En vérité, le chemin importe peu, la volonté d’arriver suffit à tout ».

L’homme perdu

Il semble qu’on a déjà vu ce plan au cinéma, dans Blade Runner ou Prometheus de Ridley Scott, à moins que ce ne soit dans une bande dessinée d’Enki Bilal, en contre-plongée sur des perspectives minérales et glacées.
Mais la puissance inquiétante de ce géant est un leurre : en modifiant à peine l’angle de vue, nous serions devant le buste d’un homme perdu, au revers creux, comme remonté brisé d’une fouille archéologique imaginaire. Il n’en reste presque rien, sinon l’essentiel, la mémoire d’une humanité qui porte visage à son cœur. Le Grand Toscano du sculpteur polonais Mitoraj a traversé le XXe siècle comme les statues antiques sont venues de Rome jusqu’à nous. « C’est une recherche de l’homme perdu, déclarait l’artiste quelques années après l’installation de son œuvre au pied de la Tour Areva. Mes déchirures sont le symbole de toutes nos souffrances; elles permettent de réfléchir sur nous-mêmes. »

L’aventure d’Icare

Il faut imaginer Icare brésilien… Il s’appelait Alberto Santos-Dumont, appartenait au cercle des demi-dieux à l’époque de la conquête du ciel, et avait en France tout expérimenté, du ballon à l’aéroplane, quand on ne savait pas encore qui, du plus léger ou du plus lourd que l’air, allait inventer l’avenir. 
À 28 ans, le 19 octobre 1901, il réalise en dirigeable l’aller-retour Saint-Cloud-Tour Eiffel en moins de 30 minutes : c’est pour cet exploit que l’Aéro-Club de France lui élève un monument, inauguré en sa présence en 1913. Lequel a été fondu pendant la Deuxième Guerre mondiale puis remplacé à l’identique mais c’est une autre histoire. Santos-Dumont est un pionnier excentrique et rêveur à l’origine de la vocation des Icare à venir. Au contraire du demi-dieu, il n’est pas tombé d’avoir trop approché le soleil. Du moins, pas directement : il se donne la mort au Brésil en 1932, épuisé par la maladie et fâché avec le genre humain qui usait de la merveilleuse aventure de l’air pour bombarder les populations.

Le fou qui brûlait ses meubles

Verrier et potier de modeste extraction, Bernard Palissy (vers 1510-vers 1589) sera l’un des premiers savants à manier la plume en français et à préférer la réalité de l’expérience aux fumerolles obscurantistes. Avouez qu’on l’aurait plutôt vu devant le Musée national de céramique à Sèvres ? Eh bien, il y est aussi ! 
Bernard Palissy s’est acharné à découvrir les secrets de l’émail parfait : « Dès lors, j’entrai en dispute avec ma propre pensée et me mis à chercher les émaux comme un homme qui tâte en ténèbres ». Le bois lui ayant failli, il fut contraint d’alimenter son four avec les tables et les planches de sa maison… Pendant longtemps, les livres d’école ont illustré le fou qui brûlait ses meubles. À croiser son regard, une autre flamme s’y devine : celle, dévorante, d’entreprendre afin de comprendre