Le parc départemental André-Malraux, un espace de verdure du Département des Hauts-de-Seine situé au pied de La Défense.

Les défis de l’eau au cœur des politiques publiques

6min et 51sec de lecture

Eau et assainissement

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Eau et assainissement
Grégoire de la Roncière, maire de Sèvres et conseiller départemental délégué à l’eau : « Pour adapter son action aux conséquences du changement climatique, le Département a voté une nouvelle politique de l’eau en décembre 2022, avec deux objectifs clairs : faire de ce patrimoine commun à tous les habitants une ressource à protéger et adapter notre territoire pour assurer sa résilience. »CD92 / Olivier Ravoire
Le 20 juin à Boulogne, le thème de « L’avenir de l’eau : quels défis face au changement climatique ? » a été débattu lors des Entretiens Albert-Kahn, le laboratoire de l’innovation publique du Département des Hauts-de-Seine. Un enjeu systémique central dans l’aménagement des villes de demain.

« Longtemps perçue comme un enjeu lointain, la gestion de l’eau est désormais une source d’inquiétude, a souligné en introduction Carine Dartiguepeyrou, la secrétaire des Entretiens Albert-Kahn. À l’échelle mondiale d’abord, puisque cette ressource représente aujourd’hui le premier risque de conflits locaux et transfrontaliers. À l’échelle de la France ensuite : les défis hydriques sont de plus en plus importants, avec les inondations dans le Pas-de-Calais et l’Ardèche, la sécheresse dans les Pyrénées orientales, ou les conflits autour des méga bassines. Collectivité en charge des réseaux, les Hauts-de-Seine jouent un rôle prépondérant dans la gestion de l’eau.

Conseiller départemental délégué à l’eau et à l’assainissement, Grégoire de la Roncière a rappelé que « Sèvres en celte signifie “petit fleuve” » : « dix-sept des trente-six communes du Département sont bordées par la Seine qui compte 66 km de berges. À travers le schéma d’aménagement des berges de Seine et celui sur l’assainissement, nous menons un programme d’actions volontariste pour améliorer la qualité de l’eau et reconquérir le fleuve au profit des habitants.

« Dix-sept de nos trente-six communes sont bordées par la Seine »

L’élu a ainsi cité les politiques de réduction des déversements en Seine d’eaux usées, l’automatisation des déversoirs d’orage, la création de bassins de stockage des eaux, comme à Antony. Avec le résultat en 2024 de permettre, en lien avec le SIAAP, la Ville de Paris, le Val-de-Marne et l’État, la tenue des épreuves en eau libre des JOP et d’envisager la baignade à terme. Pour s’adapter au changement climatique, le Département a également voté une nouvelle politique de l’eau en 2022 et un Agenda 2030 en 2024, avec entre autres objectifs la désimperméabilisation des sols et la renaturation des villes.

L'assainissement, toute une histoire

Premier intervenant, Christian Piel, urbaniste et hydrologue, fondateur d’UrbanWater, agence spécialisée dans l'intégration du cycle de l'eau en milieu urbain, défend l’idée d’une « ville éponge » avec des aménagements pensés pour permettre l'infiltration des eaux pluviales et la recharge des nappes phréatiques : îlots verts dans les cours d’école, noues, aires de jeux inondables…

Il rappelle brièvement l’histoire de l’assainissement et les grands travaux pour enfermer l’eau dans des tuyaux sous terre, menés pour des raisons d’hygiène : « Au XIXe siècle, un Parisien sur cent mourait du choléra. Mais avec l’extension des villes, l’assainissement montre ses limites. »

« Nous devons sortir de la logique des tuyaux »

Il faut désormais lutter, à la fois, contre le ruissellement, les inondations et les sécheresses. À partir des années 1990, les paysagistes entrent en scène pour renaturer les villes : végétalisation des toits terrasses, mixage de parcs et de bassins de rétention, promenades plantées, phytoremédiation, arrosage avec les eaux grises, rivières en ville redécouvertes comme la Bièvre à Antony, etc. La Zac des Bords de Seine à Asnières est citée en exemple. Les atouts de la ville « éponge » sont nombreux : espaces de fraîcheur, biodiversité accrue, meilleure qualité de l’eau… « L’eau doit s’infiltrer, pas ruisseler, conclut-il. Nous devons sortir de la logique des tuyaux. »

Les collectivités au défi des micro-polluants

Sylvie Driollet, directrice de l’eau au Département des Hauts-de-Seine, et Raymond Loiseleur, directeur du Syndicat des eaux d’Ile-de-France, sont venus ensuite présenter les actions de gestion du petit cycle de l’eau, celui lié aux usages humains avec l’extraction de l’eau et le rejet en assainissement : « les collectivités sont chargés de la collecte, le SIAAP du transport et de l’épuration, expliquent-ils. Les Hauts-de-Seine comptent 629 km de canaux d’assainissement et 38 stations de pompage. » Avec les réseaux séparatifs, unitaires, le contrôle des branchements, le défi de déverser moins de 5 % d’eaux usées en Seine en cas d’orage – et prochainement moins de 2% quand la réglementation européenne entrera en vigueur.

Un objectif qui implique des investissements importants pour améliorer la qualité de l’eau, traquer les fuites sur le réseau et réduire la part de micros polluants – plastiques, PFAS, etc. -, mais aussi la sensibilisation des aménageurs pour la mise en œuvre de la gestion de l’eau à la parcelle… « L’enjeu aujourd’hui est d’améliorer l’eau potable sans ajout chimique – donc sans chlore -, par mécanisation avec une filtration membranaire haute performance, résument-ils. À l’horizon 2030-2032, les trois usines du Sedif en seront équipés. »

Vers un statut juridique pour l'eau

Juriste et présidente de l’ONG Wild Legal, Marine Calmet est venue témoigner de son combat pour donner une personnalité juridique à l’océan et aux fleuves. « Leur reconnaître des droits est la seule façon de les protéger », dit-elle. Avocate de formation, elle intervient régulièrement en Guyane pour lutter contre les permis miniers et les exploitations aurifères qui détruisent l’environnement et la santé des populations autochtones.

« L’objectif est de considérer la Terre, non comme une propriété, mais comme une communauté à laquelle nous appartenons, poursuit-elle. Proposer une autre perspective, non anthropocentrée, est une position défendue par les chercheurs du GIEC de la biodiversité – l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques). Un rapport strictement utilitariste du vivant ne peut pas répondre aux défis climatiques. »

« Pas de santé humaine possible dans un environnement dégradé »

Marine Calmet a ainsi donné plusieurs exemples qui ont fait jurisprudence comme la reconnaissance en 2022 par la Cour constitutionnelle espagnole au droit à la dignité de la lagune Mar Menor, victime de pollutions agricoles, ou en 2024, l’obtention en justice de la protection du fleuve Machangara à Quito en Bolivie, obligeant la municipalité à mettre en œuvre un plan de décontamination, ou encore, la convention citoyenne pour les droits de la Seine qui s’est réunie pour la première fois en avril dernier.

Innovations et explosion de la demande

Prospectiviste chez Bouygues Construction, Virginie Alonzi, également co-vice-présidente de France Villes et Territoires Durables pour le collège des entreprises et membre du CESE de la ville de Suresnes, a remis pour sa part les enjeux en perspective : « Les besoins en eau ont été multipliés par sept depuis 1900 et la population a été multipliée par trois ; la demande mondiale en eau dépassera de 40 % les ressources disponibles en 2030 » Elle a présenté plusieurs modèles de résilience climatique réalisés par Bouygues, comme le projet ABC - Autonomie, Building, Citizens - à Grenoble pour diminuer les consommations d’eau et recycler les eaux grises pour l’arrosage, le nettoyage et le chauffage.

Il a aussi été question des reconversions de friches industrielles à Thiais et à Orly avec 2 600 logement produits et 45% d’espaces végétalisés, le projet Bruge 2 à Dijon initié dans une zone inondable avec des immeubles sur pilotis, le lit de l’Ouche élargi, les anciens canaux de Guise, l’affluent, remis à ciel ouvert, la création d’un parc public de 6 000 m² et d’une ferme urbaine de 5 000 m2, ou encore avec Paris La Défense, l’appel à projet de la Fondation Palladio pour soutenir des actions collectives optimisant la ressource en eau et anticipant les conflits d’usage.

Cet Entretien Albert-Kahn s’est clos sur des échanges et des questions avec le public, et une idée forte : l’eau ne doit être plus considérée comme une ressource mais comme un bien commun.

 

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