Chateaubriand et Napoléon, une relation complexe basée sur une unique rencontre…

La relation entre ces deux figures du début du XIXe siècle est complexe et ponctuée de rapprochements comme d’éloignements mais aussi de rivalité. Napoléon entendait en effet régner sur un pays qui était celui des écrivains, quelle place l’empire des lettres devait-il avoir au sein de l’empire français ?
On l’oublie souvent, mais, avant de devenir empereur, le jeune général de la jeune République fut aussi écrivain. En 1795, il écrivit une nouvelle, Clisson et Eugénie, qu’il ne fit jamais publier. Ce ne fut finalement pas la littérature qui lui apporta la gloire mais bien ses faits d’arme. Il ne faudrait toutefois pas oublier le Code civil, qu’on appela un temps le « Code Napoléon ». S’il n’en fut pas l’écrivain, les français ont retenu qu’il en était l’auteur. 
De son côté, Chateaubriand ne fut pas seulement écrivain : pair de France, ambassadeur, ministre des affaires étrangères, la politique lui était aussi familière que la littérature.
Cependant, Napoléon était bien un homme d’action nourri de lettres quand Chateaubriand fut un homme de lettres qui offrit ses services en politique.

Chateaubriand acquit la célébrité avec Atala. Ce fut Elisa Bonaparte, la sœur de Napoléon, qui lui fit lire l’ouvrage. Et ce fut grâce à son intermédiaire que Chateaubriand fut rayé de la liste des émigrés. Toutefois, Les Amours de deux sauvages dans le désert, comme l’indiquait le sous-titre, laissa Bonaparte indifférent. Chateaubriand devint toutefois intéressant à ses yeux lorsqu’il publia le Génie du Christianisme, dont la parution coïncidait avec les desseins politiques du Premier Consul qui venait de signer en 1801 le Concordat avec la Papauté. « littérateur, écrira Chateaubriand, j'ai essayé de rétablir la religion sur ses ruines ».  Or Bonaparte ne disait-il pas : « Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole » ?

Mais alors que Napoléon voyait dans la renaissance du catholicisme un facteur d'ordre, Chateaubriand montrait, exemples à l'appui, que le christianisme avait non seulement sauvé l'héritage antique pendant les invasions barbares mais aussi inventé, dès le Moyen-Âge, les rudiments du régime représentatif, première forme d'un État libre. Quelques mois plus tard, la seconde édition fut dédiée « Au Premier Consul Bonaparte ». Bonaparte voulut bien déclarer « qu'il n'avait jamais été mieux loué », et comprit que le poète pourrait servir.

Ce fut quand il publiait le Génie du Christianisme que la seule et unique rencontre les mit face-à-face. Elle se tint le 22 avril 1802 lorsque Lucien Bonaparte, le frère de Napoléon, invita l’écrivain à une fête qu’il donnait à l’hôtel de Brienne.
À la suite du Génie du Christianisme, le 4 mai 1803, Chateaubriand fut nommé secrétaire d’ambassade à Rome. En avril, le cardinal Fesch, l’oncle de Napoléon, était nommé ambassadeur. Il s’y illustra par quelques manquements au protocole. 
La mésentente avec le cardinal Fesch conduit à la nomination de l’écrivain au poste de représentant des intérêts de la France auprès de la république suisse du Valais. Mais l’exécution du duc d’Enghien le 21 mars 1804 entraîne la démission de Chateaubriand, ennemi irréductible de toute forme de despotisme, qui voit alors Napoléon comme un tyran et qui se tourne vers l’idée d’une monarchie tempérée sur le modèle anglais.

Revenant d’Espagne, Chateaubriand publiera dans le Mercure de France un article dans lequel il s’appuya sur des figures antiques telles que Néron pour témoigner de la tyrannie. La critique à peine voilée de Napoléon n’abusa personne. C’est à partir de ce cette offense que Chateaubriand s’installa à l’écart de Paris, à la Vallée-aux-Loups en 1807. Là, il écrivit le récit de son voyage en Orient, un exercice qui visait à l’installer comme un grand voyageur, ce qu’il fut, et ce qui en faisait le rival de Napoléon, lequel avait conduit l’expédition d’Égypte et sillonna l’Europe à la tête de ses armées.
Napoléon continue de censurer Chateaubriand notamment dans sa candidature à l’Académie française, pour laquelle l’écrivain a préparé un grand discours d’éloge de la liberté. Lu par l’Empereur, il sera corrigé, raturé, et interdit de diffusion dans sa forme initiale.

L’écriture est l’arme de Chateaubriand face à cet homme qu’il admire et déteste à la fois. Il publie donc en 1814, pour exprimer son soulagement à l’abdication de l’Empereur, le pamphlet De Buonaparte et des Bourbons, qui le dépeint comme un « faux grand homme » coupable de mille crimes.

Pierre Téqui, chargé de la conservation de la bibliothèque et de la valorisation du patrimoine à la Maison de Chateaubriand