Natures urbaines - un autre regard. L'exposition photographique grand format

Renforcer la place de la nature en ville est une évidence pour le Département, dont plus d’un tiers du territoire est végétalisé. Avec ses vingt-sept parcs, jardins et promenades départementaux recensant plus de seize millions de visites chaque année, le territoire alto-séquanais jouit d’un patrimoine naturel exceptionnel.
Aujourd’hui, au vu du contexte climatique et environnemental, la responsabilité départementale est d’aller plus loin encore pour développer la nature en ville. C'est pourquoi il met en oeuvre la gestion différenciée et écologique des parcs, avec des pratiques non polluantes favorisant le développement de la faune et de la flore. Cette approche respectueuse lui vaut d’avoir la plus grande surface labellisée Espace Végétal Écologique pour une collectivité territoriale en Île-de- France.
À travers la Stratégie Nature, adoptée en 2021, le Département veille également à renforcer le maillage d’espaces de respiration dans les Hauts-de-Seine, en créant des lieux de promenade et de détente agréables, et oeuvre à la concrétisation de son engagement à donner accès à la nature à chaque Alto-Séquanais en moins de quinze minutes.
C’est précisément cette ambition départementale que donne à voir l’exposition Natures urbaines, un autre regard, laissant les photographes poser leur vision personnelle et leur sens du détail sur ces espaces végétalisés. 

Cette exposition s’inscrit également dans le cadre général des animations qui seront proposées au public autour de la célébration du centenaire de l’acquisition du Domaine départemental de Sceaux. 

Découvrez et redécouvrez ici, les trente-sept photos de l'exposition ( pour les faire défiler, il vous suffit de cliquer sur la première photo puis sur la flèche de droite). 

L'invitation au voyage

Il y a cent ans exactement, le 11 août 1923, le Domaine de Sceaux devenait propriété départementale. Au milieu du XIXe siècle, sous l’autorité des Trévise, c’était la construction du nouveau château. Au début du XVIIIe, les Grandes Nuits de Sceaux de la Maison du Maine. Plus loin encore, en 1670, Jean-Baptiste Colbert achetait les terres et la seigneurie, faisait agrandir le château existant, bâtir les écuries et le pavillon de l’Aurore, travailler le jardinier André Le Nôtre – dessinateur des plants et des parterres de Fouquet à Vaux-le- Vicomte et du Roi-Soleil à Versailles – à l’aménagement du parc. Son fils, le marquis de Seignelay, parachevait l’ensemble avec l’Orangerie et le Grand Canal.
C’est ici, comme le jour se lève et dissipe la brume des temps anciens, que commence notre voyage imaginaire au fil de la nature. Chacun la connaît, puisque c’est celle de notre département, et ne la connaît pas regardée de cette façon. Tour à tour rêveuse, romantique, exotique, ludique, sauvage ou familière, elle traverse les époques et les arts, les sensibilités et les souvenirs. Ouverte à toutes les perspectives…

Harmonie

Commandée par le Département aux architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines, La Seine Musicale s’implante en 2017 dans la Vallée de la Culture comme le principal pôle musical de l’Ouest parisien. S’y aimantent tous les genres, du classique sur instruments d’époque aux musiques actuelles amplifiées. En musique comme en architecture, dont le poète dit qu’elle en est la version prise dans la pierre, l’harmonie est essentielle. Accord de trois notes. Dans les basses, la tonique de l’assise en béton ; en haut, la dominante bleue de ce qui nous élève au-dessus du quotidien; entre les deux, avec ses timbres nature empruntés à la végétation des coteaux de Seine, le bien nommé Jardin Bellini joue son bel canto. 
À moins qu’on n'entende, de l’autre côté de la ganivelle plantée sur la butte, les Jeux de vagues de La Mer...

J’ai rêvé New York

Quand New York City s’étendit vers le nord dans les années cinquante du XIXe siècle, elle créa Central Park sur un terrain de marécages et d’habitat de misère. C’est un peu la même histoire à Nanterre dans les années soixante-dix du XXe… Toutes proportions gardées : le parc américain contiendrait une douzaine de parcs André-Malraux! Mais cette nature fabriquée sur les remblais du chantier de La Défense a remplacé un bidonville, des terrains vagues et d’anciennes carrières. Alors, bien sûr, l’étang central, ses pigeons et ses bernaches du Canada ne rivalisent pas avec le Reservoir. Encore que, une fois installée La Verticale, sculpture monumentale de Jacques Zwobada, et devant le skyline de La Défense, on peut se faire son cinéma : Marathon Man, Manhattan, tout Scorsese ou presque. Nous n’entreprendrons pas tous le voyage à New York, mais rien n’interdit de traverser le parc départemental entre les Amandiers et le RER sur une bande-son au très large spectre : Central Park in the Dark de Charles Ives, musicals de Broadway, Charlie Parker, The Velvet Undergroung, Jay-Z… Et Yves Simon, pour le rêve du titre.

Mécanique du vivant

Trompe-l’œil. La porte du vaisseau spatial s’est ouverte le long des tubulures de métal, les façades miroirs démultiplient les soleils étranges qui composent le décor classique des récits de science-fiction. On croit débarquer sur une autre planète : minérale, dure, mécanique. Et devant nous, il y a la ramure éclatante d’un arbre, poussé d’on ne sait où, survivant d’on ne sait quoi. 
Depuis les âges pionniers, la relation du quartier de La Défense avec la nature a été complètement bouleversée. Il y a encore quarante-cinq ans, le premier Jardin des Reflets n’était qu’un carré vert inaccessible au public. Les temps ont changé : en 2016, Paris La Défense l’a transformé en espace de détente, de petits fruits, plantes comestibles et herbes aromatiques, labellisé ÉcoJardin en 2020. Dans les romans du genre, on nomme cela « terraformation ». Et cet arbre irrésistible nous rappelle que ce n’est pas de la science-fiction et que la mécanique du vivant est plus puissante que la force d’inertie.

La meulière, le verre et le vert

Comment représenter un territoire urbain, comme celui des Hauts-de-Seine, végétalisé à près de 30 % ? D’abord viennent à l’esprit les grandes forêts, les domaines historiques reconvertis à l’usage de tous, les espaces naturels sensibles et d’intérêt, les parcs, les berges… Que la stratégie départementale des espaces de nature entend reconnecter au plus grand nombre possible d’Alto-Séquanais. Il faut encore y ajouter les coulées vertes, les dizaines de milliers d’arbres plantés en ville, les squares, les îlots de verdure et les jardins privés qui, même inaccessibles au promeneur, participent à la réalité d’une nature urbaine. Parce que la nature, pour peu qu’on l’encourage, est partout, elle s’écoule le long du fleuve, elle ruisselle autour du bâti, elle s’infiltre entre les pierres et le béton. Elles en ont vu, les meulières de cette maison posée dans les arbres devant les tours ! Le vert est une couleur persistante qui a de la mémoire, une reconquête du temps et de l’espace.

Nature en perspective

Se souvient-on qu’André Le Nôtre, inventeur à Sceaux, Saint-Cloud et Meudon du paysage à la française sur notre territoire, est aussi celui qui dessina « l’axe historique » de Paris ? D’est en ouest, la perspective cavale aujourd’hui depuis la statue équestre de Louis XIV devant la Pyramide du Palais du Louvre, jusque sous la Grande Arche de La Défense ; elle passe à travers l’Arc du Carrousel et l’Arc de Triomphe après avoir franchi l’Obélisque de la Concorde; elle traverse le Jardin des Tuileries, caracole le long des jardins des Champs-Élysées et déboule, en freinant des quatre fers, sur la dalle de La Défense où la course de la nature semblait brutalement s’arrêter. C’est bientôt de l’histoire ancienne : de nouveaux Champs-Élysées de verdure vont pousser entre la fontaine Agam et le bassin Takis, sur cinq hectares et six cents mètres de longueur, ajoutant aux quatre cent cinquante platanes et tilleuls existants de nouvelles strates d’arbres, d’arbustes, de pelouses et de fleurs. Renversement du paysage minéral, lutte contre les îlots de chaleur, foisonnement de la biodiversité : le Parc Paris La Défense deviendra le troisième jardin de l’axe historique de « notre » jardinier emblématique.

Le petit jardin de dix pas

Nichés entre les bâtiments rouges et roses de la cité-jardin construits sur une butte verte à partir de 1931, les jardins familiaux demeurent, malgré le temps qui passe et transforme les utopies, comme autant de terres précieuses de la nature en ville. Debout là, devant le cabanon, chacun se fait paysagiste, il n’est question que d’odeurs, de couleurs. La palette est telle, charnelle, onctueuse, qu’on ne serait pas étonné que Pierre-Auguste Renoir y ait posé quelques touches, mais le peintre est mort un peu trop tôt. Et puis on tombe, complètement par hasard, sur un recueil de poèmes, et le sens du bonheur simple à la portée de tous vous saute à la figure, pareil au parfum des fleurs. Pourtant, Georges Séféris, prix Nobel de littérature, n’est pas resté assez longtemps à Paris pour s’être promené ici avant de retourner en Grèce, mais après tout que sait-on du pouvoir des poètes ? « Dans le petit jardin de dix pas / tu peux voir la lumière du soleil / tomber sur deux œillets rouges / un olivier et un peu de vigne vierge / Accepte d’être celui que tu es ».

À l’ombre des souvenirs en fleurs

À la fin du XIXe siècle, s’établissait ici, dans une maison de maître du siècle d’avant, la dynastie des pépiniéristes fondateurs. Aujourd’hui, au creux de l’Arboretum de la Vallée-aux-Loups où le Département maintient la vocation horticole et arboricole du site, c’est une des plus secrètes – et des plus nostalgiques – de nos natures urbaines. L’ombrelle ne fréquente plus l’ombre de la gloriette, l’abri à bateau est déserté, seul le parfum des fleurs ravive les souvenirs : ici, comme chez Marcel Proust, temps perdu et temps retrouvé se confondent. « Et, comme la durée moyenne de la vie – la longévité relative – est beaucoup plus grande pour les souvenirs des sensations poétiques que pour ceux des souffrances du cœur, depuis si longtemps que se sont évanouis les chagrins que j’avais alors à cause de Gilberte, il leur a survécu le plaisir que j’éprouve […] à me revoir causant ainsi avec Mme Swann, sous son ombrelle, comme sous le reflet d’un berceau de glycines. »

Une tristesse de verre

Sur les pentes du mont Valérien, le Suresnes American Cemetery and Memorial est un cimetière militaire américain qui abrite, dans une nature pacifiée, plus de mille cinq cents tombes de soldats morts à la fin de la Première Guerre mondiale. Soit qu’ils sont tombés au champ d’honneur – expression terrible qui sous la grandeur escamote la mitraille et la boue –, soit qu’ils ont succombé à la pandémie qu’on appelait grippe espagnole. Dans son livre Le Ciel de Cambridge, consacré au jeune poète anglais Rupert Brooke mort à la guerre en 1915, Philippe Barthelet écrit : « Il est mort quand s’ouvraient les charniers anonymes, quand commençait un nouvel âge du monde, et c’est à lui que l’on demande, comme à un envoyé du monde d’avant, quand il existait des hommes et des poètes, d’être le prête-nom, de laisser croire à la survivance de ces deux postulations devenues sans objet : la poésie et l’immortalité. » Ce n’est pas la pluie qui déforme la perspective, mais le vitrage ancien – et cela fait comme une tristesse de verre.

Vous n’avez encore rien vu !

Que voit-il de nous, l’oiseau qui observe l’observateur ? À l’affût en silence dans l’une des cabanes mises à la disposition du promeneur par le Département en partenariat avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux, nous n’avons que notre patience pour repérer, dans la nature pastel autour de l’étang des Tilliers, la rousserolle effarvatte, le martin-pêcheur, le bruant des roseaux ou le blongios nain, parmi les plus de cent espèces recensées dans la réserve ornithologique. Vous êtes-vous déjà demandé comment, en face, les oiseaux nous voyaient, équipés de leur inaccessible « matériel optique » ? Percevoir 150 images par seconde, faire le point simultanément sur trois objets, zoomer du haut de l’arbre sur le grain de pollen, savoir que la nuit tous les chats ne sont pas gris, profiter du jour qui leur en fait voir de toutes les couleurs, bien au-delà de notre arc-en-ciel et avec la température en prime ! De quoi faire basculer notre regard sur les natures urbaines dans une autre dimension…

Les jardins du T2

On n’a pas attendu le XXIe siècle pour redécouvrir les circulations douces : le T1 a été mis en service en 1992, le T2 en 1997. Comme beaucoup de monde, je fais tous les jours le trajet en tram pour aller travailler, assise quand c’est possible, avec de la musique dans les oreilles et un livre sur les genoux. Enfin, ce que je préfère, c’est quand même regarder à travers la vitre, les toits, les fenêtres éclairées. Et la végétation, il y en a plus en ville que ce que l’on croit. L’endroit que j’aime surtout, c’est dans une courbe à Saint-Cloud, entre Les Milons et Les Coteaux. Un petit bout de nature, un jardin familial, on appelait ça autrefois un jardin ouvrier. Un couple de retraités, il désherbe, elle arrose, je les vois tous les jours ou presque. Je m’invente leur vie, un peu comme la fille du train dans le polar. Parfois, ils font la pause assis sur leurs chaises en plastique et je les imagine fatigués mais contents. Cela fait deux jours que le jardin est vide… Mais je ne m’inquiète pas, ce n’est pas la saison ni un roman noir ! Il y a heureusement des choses qui ne changent pas trop vite dans cette nature familière.

Vert coquet, vert claire

L’Île-de-France n’est plus le terroir qui comptait jadis plus de quarante mille hectares de vignes ! Si demeure, de l’autre côté de la Tour Eiffel dressée là comme un épouvantail en plein champ, le folklorique Clos-Montmartre, c’est ici à Suresnes que recommencent les choses sérieuses… Après l’an mil des premières plantations, le XVe siècle du vin de Suresnes meilleur que celui de Champagne, du moins pour la santé, après le Grand Siècle à la table du Roi-Soleil, « Bref par tous les appas de ce vin de Surène » écrivait le poète Guillaume Colletet en 1629, il y eut les âges sombres de la piquette avant la lente renaissance du XXe siècle. C’est aujourd’hui le plus grand vignoble de la région, un hectare de nature viticole, cépages chardonnay et sauvignon qui donnent « le meilleur vin blanc d’Île-de-France » – ce n’est pas nous qui le disons mais en 2018 le jury d’un concours officiel et parisien – « parfumé, friand et délicat » renchérit un célèbre critique gastronomique. De quoi nous autoriser la facétie d’être, en matière de vin blanc, chauvin…

Le jardin des merveilles

Dans sa mission de mise en valeur de l’histoire horticole de la Vallée-aux-Loups, le Département s’attache à la préservation des arbres et des collections végétales remarquables. Il y eut, à l’aube du XXIe siècle, l’entrée dans le patrimoine départemental de la collection des convolvulacées – liserons et belles-de-jour – confiée par le botaniste Patrick Blanc, inventeur du mur végétal. Et, il y a dix ans, les 66 plus belles pièces de Rémy Samson, spécialiste et pionnier français du bonsaï. Rouge à l’automne, l’érable du Japon ne ressemble en rien aux affreusetés croquées par Franquin qui avait, en l’espèce, des idées noires. Au contraire : octogénaire, il fait belle figure avec son port de samouraï dans ce pays des merveilles où le ficus a deux siècles et le micocoulier 350 ans. Sans même besoin de la potion au goût de tarte aux cerises et de dinde rôtie pour rapetisser, le visiteur se sent dans la peau d’Alice à l’entrée du jardin le plus adorable qu’on puisse imaginer : « Quelle sensation bizarre ! Je dois être en train de rentrer en moi-même, comme une longue-vue ! »

Le Pavillon de thé

Dans les jardins Albert-Kahn, devant le nouveau musée départemental signé de l’architecte japonais Kengo Kuma, le pavillon de thé, récemment restauré, renaît régulièrement à sa fonction première. Ici, le maître de thé, lointain disciple de Sen no Rikyū au XVIe siècle, vient pratiquer la cérémonie « simple et saine » comme le veut la tradition Urasenke de Kyoto. Dans l’ombre, sur une soie couleur de cèdre, les céramiques fumantes ont des nuances d’érable ; mousseux sous le fouet, le thé matcha est vert comme le cyprès. À la fin de son livre Le Maître de thé, Yasushi Inoue découvre ce qui est le plus important pour l’homme de thé : « préparer sereinement le thé, laisser faire le destin et ne pas tenter d’y échapper. » Le temps parfois peut ralentir sa nature jusqu’à sembler immobile.

Flèche de pierre

« C’est la Pierre sans tache et la Pierre sans faute / La plus haute Oraison qu’on ait jamais portée / La plus droite Raison qu’on ait jamais jetée / Et vers un ciel sans bord la Ligne la plus haute. » Toutes proportions gardées, les vers de Charles Péguy en pèlerinage à Notre-Dame de Chartres ne seraient pas ici incongrus. Au nom de l’histoire : petit-fils de Clovis, l’ermite Clodoald fonde céans un monastère où il meurt saintement. La chapelle mérovingienne devient lieu de pèlerinage ; on y célèbre les funérailles d’Henri III et même si l’édifice actuel date du Second Empire, il impose, à travers les frondaisons et sous le ciel sublime, une allure solennelle et mystique. Les teintes mordorées sont les mêmes, un ton au-dessus, que celles du célèbre tableau de Jean-François Millet – et en guise d’angélus, on écoutera résonner l’orgue Cavaillé-Coll, tenu par Charles Gounod au temps où les pierres de taille étaient plus blanches encore.

Le voyage en Amérique

Est-ce simplement le nom du lieu, ou bien l’esprit des voyages romantiques de son plus illustre résident, mais il y a de la nature sauvage dans La Vallée-aux-Loups, propriété départementale depuis 1967. Voisin du domaine où François-René de Chateaubriand acquiert en 1807 sa chaumière et son coin de terre à labourer, l’Arboretum semble parfois ouvrir une brèche dans la réalité qui veut que l’espace soit circonscrit et que le temps ne se renverse jamais. Rêveur, un promeneur solitaire pourrait ici faire le voyage en Amérique que le jeune Chateaubriand – qui se délectait de la lecture de Rousseau – accomplit lui-même : « le feuillage offrait toutes les nuances imaginables : l’écarlate fuyant sur le rouge, le jaune foncé sur l’or brillant, le brun ardent sur le brun léger, le vert, le blanc, l’azur, lavés en mille teintes plus ou moins faibles, plus ou moins éclatantes. » L’écrivain y reviendra encore et encore par les chemins de la mémoire, nous en révélant le secret initiatique : « Mais il faut se contenter de jouir de ce spectacle sans chercher à le décrire. »

Le feu et la glace

Ne trouvez-vous pas que ce paysage d’arbres du Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups relève à la fois du Grand Nord scandinave et des grands espaces à l’américaine ? Sans savoir comment le dire exactement. Comme nous avons, sur une autre nature sauvage, appelé Chateaubriand à la rescousse, en voisin, laissons-nous cette fois vagabonder, plus proche dans le temps, plus loin dans l’espace, sur les mots de Jim Harrison. Cela tombe bien, le « gentleman-grizzly », poète épique des paysages du Michigan, du Montana, de l’Arizona, était d’origine suédoise par sa mère. « J’ai commencé à me promener à ton âge, tout simplement parce que la nature semblait absorber le poison qui était en moi. » Finalement, le feu et la glace, la nature et l’âme humaine, Jim Harrison savait exactement les décrire. En nous laissant, un peu avant sa mort en 2016, de quoi mieux définir le sens de cette exposition : « Nous sommes les lieux où nous avons été, ils font partie de nous. »

Les corbeaux de mer

Sur l’itinéraire des parcs départementaux, celui de l’Île-Saint-Germain s’identifie à coup sûr grâce à son immanquable totem, La Tour aux figures, conçu par Jean Dubuffet et restauré par le Département. Avec pareil voisinage, la nature passerait presque inaperçue malgré l’ancienneté du site et la multiplication des jardins aux noms évocateurs : antérieur, imprévu, jardin des messicoles ou des découvertes… La regarder autrement oblige à faire un pas de côté. Perchés en grappe sur la résille poudreuse de l’hiver, qu’attendent-ils, ces inquiétants oiseaux noirs et crochus ? Il faut les approcher pour les reconnaître ; on a plus coutume de les voir raser la mer comme des flèches en pays celte, là où sévissait, dit la légende, le géant Cormoran ; de se faire peur avec Alfred Hitchcock ; de se les représenter comme messagers de l’au-delà, plutôt que de les croiser ici, dans la proximité invisible de Dubuffet, à qui décidément on n’échappe pas : « On attend d’un peintre qu’il ouvre des voies neuves aux regards que nous portons sur notre quotidien entourage. »

Choses étranges

C’est un parc au bord de l’eau, un espace vert et bleu aménagé le long de la Seine il y a cinquante ans afin de rendre le fleuve à ses riverains. Les enfants qui jouent devant la maison du parc le savent bien : il suffit d’un rien pour que le monde des adultes qui les accompagnent passe de l’ennui ordinaire au surnaturel. L’hiver par exemple, une flaque d’eau sur une table, et des « choses étranges » surgissent dans le reflet. Comme dans la série que regarde le grand frère. Comme dans les livres aux titres inquiétants qu’ils liront un peu plus tard en frissonnant. De plaisir. Avec leurs monstres pour de faux et leurs maisons de sorcière aux angles biscornus perdues dans la nature. Et puis soudain l’illusion disparaît, dans un claquement de mains, et les enfants retournent s’amuser sur l’aire de jeu, de ce côté-ci du miroir d’eau de l’île Marante – dont le nom les fait bien sûr pouffer de rire.

Métamorphose nocturne

Plus le temps passe et plus il efface le souvenir de ce qu’il y avait ici, il y a encore trente ans, sur ce qu’on appelait le Trapèze Renault : 37 hectares d’ateliers industriels, de toits en shed et de sols artificiels, en face de l’Île Seguin. Preuve d’une reconversion inimaginable au XXe siècle – et réussie au XXIe –, Billancourt la ville-usine est devenue Rives de Seine la ville-parc, labellisée ÉcoQuartier en 2013. Réinventée, la nature y est centrale et non pas collatérale, elle rééquilibre la densité perçue, elle infiltre les grands îlots bâtis. Poumon vert et artère bleue du quartier : le parc de Billancourt, soit sept hectares envisagés comme un espace naturel au service de la ville et de la biodiversité. Même en nocturne, la métamorphose est telle qu’il reste peu de place pour un polar noir, un blues de banlieue, un coin de rue façon Patrick Pécherot. Après la disparition de la citadelle ouvrière, il va falloir attendre que Rives de Seine s’invente une nouvelle mythologie.

Plumes d’or sur promenade bleue

Drôle d’endroit pour une renaissance… Sur l’Île Fleurie jadis, il n’était question que de guinguettes, de matelote et de pichets, Mistinguett y faisait recette, les Quatre Mousquetaires jouaient de la raquette à balles blanches. Petit à petit, la nature folâtre a cédé devant la brique industrielle, l’usine à papier, le hangar à tabac, les chantiers, les rails, l’autoroute… On en oubliait la Seine nourricière. Ouvert en 2006, agrandi en 2012, le parc départemental du Chemin-de-l’Île raconte une histoire d’eau pour tous, jeux, prairies, jardins et bassins filtrants. Imaginée par le Département, la « promenade bleue » passe par ici, elle coule écologique et paisible de Rueil à Colombes, elle a rouvert les berges de Seine à tous ses riverains, du promeneur à l’insecte pollinisateur… Laissez les enfants approcher, laissez-les scruter patiemment les graminées à la recherche de Mireille l’abeille ou de Théodule la libellule. On ne vous promet pas qu’ils les trouveront cette fois, mais on vous assure qu’ils y sont pour de vrai sur place.

Les derniers feux de l’artifice

Si l’on se retournait, le regard s’apaiserait sur un jardin clos aménagé pendant l’entre-deux- guerres dans la manière mauresque du Généralife de Grenade. Mais de ce côté-ci, il s’enflamme dans la passion rococo pour les ruines, grottes et fabriques de jardin dont brûlait le siècle des Lumières. Ce qu’il reste malgré les vicissitudes de ce jardin-spectacle, sauvegardé par le Département au moment de son acquisition en 2009, témoigne de l’abondance ayant dirigé sa conception : le baron de Sainte-James confie en 1777 à l’architecte Belanger les décors du pavillon principal et du jardin, de même que la mission de rivaliser avec son œuvre précédente, la Folie d’Artois, aujourd’hui Bagatelle. Au goût de l’époque, qui est celui des peintures de ruines d’Hubert Robert, de l’exotisme à la chinoise et de l’éclectisme des styles, la nature n’est jamais si belle que sous le déguisement de l’artifice. Au risque de la surabondance que soulignait avec élégance un contemporain : « près de Neuilly, il y a un jardin qui serait fort beau s’il ne l’était pas tant ».

 

Stèle paysagère

« Comme si l’urbanisme pouvait faire abstraction du cimetière… » regrettait l’architecte Robert Auzelle, concepteur entre 1946 et 1958 du cimetière paysager intercommunal implanté à Clamart, en lisière du bois de Meudon. L’architecte philosophe ne manquait pas de formules pour opposer sa vision – « un cadre harmonieux et un décor dont la dignité invite à la méditation » – aux « prétentieux et chaotiques caravansérails de la mort » du siècle précédent. Les essences d’arbres, les perspectives paisibles, la palette changeante des couleurs au gré des saisons, tout concourt renverser le regard funèbre que l’on pose d’ordinaire sur les lieux. Jusqu’à redéfinir, pour des raisons d’espace, la notion de perpétuité, prohiber la pierre tombale, privilégier la stèle au bord du chemin. Certaines, trouées de lumière et de verdure, ressemblent à des bijoux funéraires portés par la terre. La nature non plus ne peut faire abstraction du champ des morts.

 

Un air de savane

Sur les terrasses supérieures s’élevait le château de Bécon, agrandi à partir de 1869 par le prince Georges Bibesco Stirbey, descendant du « hospodar » de Valachie, souverain d’une principauté à la frontière de l’Empire ottoman. Le château, où mourut Carpeaux, a disparu au XXe siècle mais le parc fait l’objet d’un projet de réhabilitation avec le concours financier du Département. En attendant, sans doute encouragé par l’histoire insolite des lieux, porté par le voyage immobile de l’Exposition universelle de 1878 et de l’exotisme des deux pavillons qui y furent déménagés – celui de l’Inde et celui de la Suède et de la Norvège –, l’esprit vagabonde au bas des escaliers. Devant les ouvertures grillées de métal, on se transporterait sans effort dans l’arène d’un cirque de l’Empire romain d’Orient. Et dans l’or du couchant, on ne serait pas autrement surpris de voir surgir des herbes sèches quelque lion de Constantinople

L’Œil était dans la cale

L’œil était dans la cale et regardait la Seine. Nous montrer la nature autrement, surtout en descendant le fleuve tellement riverain que nous ne le voyons plus, suppose d’avoir le regard inventif. Au cours d’une croisière touristique estivale où le Département et la ville de Paris nous invitent à « Larguez les amarres », entre Rueil-Malmaison et le musée d’Orsay, le photographe n’est pas resté bredouille au bastingage. C’est à fond de cale qu’il a saisi, à travers le hublot comme à travers son objectif, un exotisme inattendu, une nature de mangrove, une certaine idée de la liberté. Elle renvoie aux lectures d’autrefois, et tout particulièrement à Mark Twain et aux Aventures de Huckleberry Finn, personnage indomptable qui avait l’habitude de dormir dans un tonneau, de porter de vieilles frusques, de pêcher à sa guise. Car chacun sait qu’on a tous quelque chose en nous du Mississippi !

Le donjon des légendes

De la promenade Jacques-Baumel, qui fait le tour du Mont-Valérien et conduit au nord dans le parc départemental, on connaît mieux les vues de Paris, la tour Eiffel et Montmartre. Flanc sud, le balcon naturel sur Boulogne, le campus éducatif et écologique des Apprentis d’Auteuil et la forêt de Meudon est tout aussi spectaculaire. Et peut-être plus encore propice à l’imagination avec ce donjon qu’on croirait surgi d’un Moyen Âge de légende. Toutes les « vérités » ont couru sur cette tour édifiée, à la hauteur de ses espérances déçues, par l’entrepreneur d’un projet abandonné de basilique jumelle du Sacré-Cœur, avec les matériaux déjà livrés sur place. Nous sommes dans les années vingt du XXe siècle, on parle d’un épisode monumental de la querelle entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas… Plus tard, les écoliers de la rue des Raguidelles font le détour pour éviter la maison de la sorcière. Cependant, pas plus de dragon que de donjon dans cet immeuble d’habitation, sinon autour d’une table de jeu de rôles – et les rêveurs de lancer quand même le dé pour ne pas perdre l’initiative.

Brocéliande

La vérité n’est pas réservée à la parole des enfants ; la voici tombée naguère de la bouche d’un vététiste vétéran : « Cet endroit n’a pas besoin d’être authentique dans les livres, il l’est déjà dans nos cœurs ! » Alors oui, on a beau savoir que le menhir provient de la forêt voisine de Vélizy ; qu’il aurait été transporté ici à la fin du XIXe siècle par des séminaristes des Missions étrangères, amateurs sans doute d’études préhistoriques – à moins qu’ils ne fussent d’origine celtique. Qu’il est environné de dolmens plus faux que nature. On a beau savoir tout cela, il demeure que le chêne pédonculé dit des Missions, daté du milieu du XVIIIe siècle, est un arbre qu’on remarque : 30 mètres de haut, 32 d’envergure, un tronc de 5 mètres de circonférence… Il porte le matricule 7 des plus de mille cent « arbres remarquables » sur le domaine public que le Département recense, protège et valorise. N’empêche, impossible de ne pas imaginer le roi Arthur, l’épée du rocher, la forêt magique de Brocéliande…

La Chute de la Maison Chocolat

Pour se trouver en vue du mélancolique château de la Solitude, pas besoin de traverser « seul et à cheval une étendue de pays singulièrement lugubre », comme au prologue de La Chute de la Maison Usher d’Edgar Allan Poe, « où les nuages pesaient lourds et bas dans le ciel » – la traduction, on s’en doute, est de Baudelaire… Au contraire, il suffit de suivre le parcours buissonnier, aménagé par le Département, qui traverse les bois de la Garenne et de la Solitude pour accéder à une nature de chênes et de châtaigniers plutôt inattendue – et écologiquement précieuse – en ville. Inattendue aussi, la ruine du castel néogothique édifié au début du XXe siècle pour l’héritière des chocolats Marquis – fournisseur breveté de toutes les cours d’Europe – aussitôt surnommé le Château Chocolat, avant d’aller, d’affectation en abandon, à la chute finale. Et combien précieuse pour qui a le goût du fantastique : « La tête me tourna quand je vis les puissantes murailles s’écrouler en deux. Il se fit un bruit prolongé, un fracas tumultueux comme la voix de mille cataractes… » Même si, en dépit du romanesque, la vérité oblige à dire que, loin des fissures dans l’inconscient de Roderick Usher, c’est Raymond Radiguet qui mit en scène ce château de Robinson dans Le Bal du comte d’Orgel.

Vivre la nature urbaine

« C’est une vue panoramique d’un paysage bucolique, encadré de branches d’arbres et d’herbes sauvages qui créent une sensation de profondeur. La grande prairie couverte d’un mélange de jaune et de vert est bordée de collines verdoyantes. On voit les bâtiments modernes de La Seine Musicale et du parc nautique départemental, qui apportent une touche urbaine à l’image. Les coteaux de Sèvres se dressent à l’horizon. Dans l’ensemble, cette photo capture magnifiquement la beauté et la diversité des paysages du département, alliant la nature, la ville et l’histoire. » La preuve est faite qu’une « intelligence artificielle » – à qui revient la paternité du paragraphe précédent, à peine retouché – ne dira jamais rien des émotions, des expériences et des rêveries que provoquent nos natures urbaines. Mieux vaudrait s’adresser à ceux qui les fréquentent. Comme ce jeune couple assis dans l’herbe, qui discute doucement de ce qu’ils feront tout à l’heure – assister à un concert ou pagayer sur la Seine? – lorsque leur enfant sera réveillé de sa sieste à l’ombre.

Le photographe tourne autour des ifs taillés en topiaire, circule entre les parterres de broderie. Il cherche un angle sur le château de brique et de pierre qui a remplacé celui de Colbert. Il remonte les allées comme on remonterait le temps. Il suffit d’un rien, soudain, dans le cadre de scène des branches de cèdre, l’imagination s’emballe. Un dessinateur y est posté. On lui a commandé quelques vues sur le vif de la visite de la Reine. On prépare une collation, les membres de la cour bientôt tourneront autour des décors de rocaille où l’on dispose pâtés et friandises sur des faïences italiennes, les bouteilles dans de grands rafraîchissoirs à décor mythologique. Brunch dans un jardin français… Le voyage imaginaire dans le temps autorise tous les anachronismes.

Dans le vaste continuum de nature et de mémoire qu’est le parc départemental de la Vallée-aux-Loups, centré autour de la Maison de Chateaubriand, l’Île Verte, au nord-est, forme comme un espace et un temps autonomes, de jardins généreux et de climats tempérés. Des îles vertes, il y en a partout dans le monde – mais peu tirent leur nom d’une peinture visionnaire d’un artiste supérieur : Jean Fautrier, locataire après la Libération et pendant vingt ans de la maison au lierre au-dessus du bassin. Rares également les îles vertes qui ont su conserver malgré les embardées – la guerre puis l’œuvre et la personnalité tourmentées de Fautrier n’étant pas les moindres – leur cachet romanesque et apaisé, préservé par le Département qui en est propriétaire depuis vingt ans. Aussi, davantage que l’atoll volcanique du peintre abstrait, c’est cette allée de lumière couverte qui en exprime le mieux le caractère idyllique, comme si Tolkien y avait nourri les Hobbits de sa Comté : « Nous sommes des gens simples et tranquilles, et nous n’avons que faire d’aventures. Ce ne sont que de vilaines choses, des sources d’ennuis et de désagréments ! Elles vous mettent en retard pour le dîner ! »

L’inattendu de Sceaux

Évacuons tout de suite la tragédie représentée par cette copie d’antique en pierre, installée à la fin du XVIIe siècle par le marquis de Seignelay, fils de Colbert : défait par un souverain grec, un chef celte assassine sa femme et se suicide illico pour échapper à l’esclavage. Le thème de l’honneur est exemplaire à l’époque, on le retrouvera d’ailleurs dans les collections constituées par le Département pour le futur musée du Grand Siècle. Mais profitons plutôt de cet angle, qui dissimule l’épouvantable et modifie l’échelle, pour porter un autre regard sur cette rencontre inattendue au coin du bassin de l’Octogone. Comme si l’on avait débusqué, au hasard d’un pas de trop, une créature farouche, un instant figée par la surprise et qui va prestement s’enfuir et retourner à son état de nature. Nous laissant un sentiment ambigu de soulagement et de regret.

Comme un arbre dans la ville

On entend parler de la végétalisation de La Défense comme d’un nouvel horizon. Rendez- nous la lumière, rendez-nous la beauté, des arbres entre les tours, des hectares de parterres verts, une promesse de nouvelle biodiversité et moins d’étés caniculaires. Dans le futur, le parc de La Défense sera devenu une seconde nature pour le quartier d’affaires, plus personne dans un monde post-carbone ne songera alors à parler de « la dalle ». Ça commence par de tout petits riens. Ce matin, en sortant du tramway, j’ai remarqué l’arbre, il venait d’être planté au pied de l’immeuble où je travaille. Fragile comme un rejeton de l’hiver, bientôt vivace comme ses frères des forêts pour peu qu’on en prenne soin, comme du reste d’ailleurs. Et ça m’a rappelé cette chanson que fredonnait mon père autrefois, chanson d’un autre monde où nous avons failli disparaître : « Comme un arbre dans la ville, je suis né dans le béton, coincé entre deux maisons, sans abri sans domicile… »

Lumière romantique

À Malmaison, où elle réside de 1800 à sa mort en 1814, l’impératrice Joséphine exerce sans limite une passion pour la botanique, une nature de fleurs et de palmes dont le goût lui vient – et peut-être la nostalgie – d’une enfance passée sur l’île de la Martinique. Ce n’est pas de cette nature exotique-là, celle des serres chaudes et des expéditions au bout du monde, que témoigne l’étang de Saint-Cucufa, au cœur de la forêt domaniale. Mais d’une musique plus secrète, de la mélancolie d’une femme au soir de sa vie brève et brillante – et fastueuse et amoureuse et mouvementée – qui n’aura toutefois pas pu tenir jusqu’au bout le rôle de Première Dame. On sait que la promenade à l’étang était un passage obligé pour ses invités de marque. On a longtemps laissé dire que la dernière causa le refroidissement qui lui fut fatal. Qu’importent la vérité historique et la réalité médicale : le lieu est tellement romantique qu’on croirait entendre tourner les roues de la calèche.

Le cavalier de l’aube

En un peu plus de quarante ans, le Département a considérablement ouvert le Haras de Jardy à la pratique sportive de tous. Aujourd’hui, si le club de golf et la raquette de tennis bénéficient de l’environnement exceptionnel de 75 hectares de nature, ce sont tout de même la selle et les sabots ferrés qui enluminent les plus belles pages de l’histoire du site, depuis la toute fin du XIXe siècle et la construction du prestigieux haras de style anglo-normand. Jamais, depuis, l’excellence du cheval n’y a été contestée. Dans la brume sépia du petit matin, une autre mémoire s’inscrit en filigrane, le dessin si caractéristique des arbres, la silhouette en contre-jour du cavalier. Celle du peintre Jean-Baptiste Corot travaillant sur le motif à un galop d’ici, à Ville-d’Avray, près des étangs de la forêt de Fausses-Reposes qui finiront par prendre son nom.

Voyage d’hiver

Dans la forêt historique, la plus vaste des Hauts-de-Seine qui fait le lien avec le département voisin des Yvelines, le marcheur peut compter les étangs comme autant de haltes sur son chemin. Il y a le géométrique étang de Chalais, plus à l’est ceux de Trivaux et de la Garenne ; en bas du Domaine, c’est le bien nommé étang de Meudon relié par un canal pavé à celui de Villebon, vestige des aménagements du XVIIe siècle. Cesdeux-là font l’objet des soins écologiques de l’association Espaces, on y parle, à voix basse pour ne pas les effrayer, de foulques, de hérons cendrés et de grèbes castagneux. Mais l’hiver, quand la nature s’engourdit et que les branches dessinent à l’encre sur le ciel, il n’y a pas loin de la promenade dominicale au mélancolique Voyage d’hiver de Franz Schubert : « Une corneille m’a suivi hors de la ville, ne cessant de tourner au-dessus de ma tête… »

 

Le frisson et la lumière

Voici sans doute la plus mystérieuse des 37 photographies de cette exposition nous incitant à regarder autrement la nature urbaine, à l’occasion du centenaire de l’entrée du parc de Sceaux dans le patrimoine départemental commun. Ce n’est pas le plus classique des tableaux, ni le plus spectaculaire des panoramas mais, au sein d’un espace naturel sensible, un appel à nos espaces surnaturels intérieurs. Chacun à sa manière suivra le chemin de clarté qui traverse les frissons du sous-bois. Le spirituel, l’érudit ou la culture populaire y ont leur part et l’on choisira son illusion : neuvième porte ésotérique, kiosque à musique des sphères, chambre des doubles derrière le cercle des sycomores… Le printemps revenu, l’inquiétante étrangeté aura fondu sous le vert des feuilles et l’on se demandera où sont passées les lumières qui nous guidaient. Mais à cet instant exact, c’est beau comme la rencontre fortuite, sur le plateau de l’hiver, de l’infini et d’une gloriette de jardin.